Le soleil d’Alsace


Semblable à un grand soleil de dentelles, cette belle coiffe vient nimber le visage des femmes de la région d’Obernai. Son profil atypique témoigne de la diversité des costumes alsaciens et vient offrir une vision très différente du large nœud noir auquel le grand public est habitué.

Un halo de dentelles

D’allure assez spectaculaire, cette belle coiffe apparaît comme une véritable exception au milieu de celles que l’on a l’habitude de voir en Alsace.

 

Coiffe Soleil de Krautergersheim – Musée Alsacien Strasbourg

Avec le grand soleil de dentelle qui attire irrésistiblement l’œil, cette coiffe est l’une des dernières traces d’une mode qui s’est épanouie dans toute l’Alsace au cours du 18è siècle.

(Pour plus de détail sur les bonnets dorés en Alsace, voir l’article ici.)

Le beau bonnet doré autour duquel se déploie le large ruché de dentelle témoigne des origines anciennes d’une coiffe qui a longtemps fait la fierté des femmes de la région d’Obernai et des villages d’obédience catholique des alentours.

 

 

Costume d’Obernai à la fin du 19è siècle – Gravure de R. Alberto Issel – BNU Strasbourg NIM26853

Un beau bonnet doré

 

 

Scintillant de toutes ses paillettes et broderies, ce bonnet s’inscrit dans la tradition des ″coiffes dorées″, surnommées Ditschi Kapp selon l’expression dialectale rapportée par Charles Spindler dans son ouvrage sur les Costumes d’Alsace.

 

Ce surnom est un rappel de l’origine germanique de ce type de coiffes. Au cours du 18è siècle, elles se répandirent dans toute l’Europe Centrale, dessinant sous diverses formes une véritable route dorée du Rhin au Danube, leur influence se faisant sentir jusqu’en Russie avec la mode des kokoshnick.

 

Par endroits, ces bonnets pouvaient prendre l’apparence de véritables ″casques d’or″, certains faisant l’objet d’une ornementation particulièrement luxueuse, pour ne pas dire chargée.

 

Jeune fille russe portant une coiffe de type kokoshnick – Paul Barbier – 1817 – Musée de l’Ermitage
Trois types de bonnets dorés tels que portés en Autriche à la fin du 18è siècle – Coll Particulière
čepeč de la région de Hradec Kralove – Tchéquie – Musée National de Prague.

Une évolution particulière

Ces bonnets dorés comportaient un lien coulissant au niveau de la nuque, ce qui permettait de resserrer la coiffe et d’en assurer le maintien. C’est ce lien qui, en remontant vers le haut de la tête puis, en s’agrandissant progressivement, a donné naissance au grand nœud noir porté plus au nord de l’Alsace. (Voir l’article sur l’évolution de la coiffe alsacienne et de son grand nœud ici.) 

Dans le cas du ″soleil″, l’évolution a suivi un chemin différent. Le lien sur la nuque est resté à sa place (dissimulé par un nœud de ruban à usage strictement décoratif) et c’est la dentelle du sous-bonnet qui a pris de l’extension.

Sous le bonnet doré venait en effet se placer un sous-bonnet de toile blanche, garni sur le bord d’une mince dentelle .

C’est cette dentelle courte qui est allée s’élargissant pour donner naissance au nimbe de dentelle qui accompagne la coiffe actuelle.

Portrait de Catherine Lager, bourgeoise de Colmar et trisaïeule de l’abbé Wetterlé, portant un bonnet doré orné d’une dentelle discrète – env. 1780 – Musée Unterlinden Colmar

Une coiffe de riche citadine

Au 18è siècle, dans les petites villes de la Décapole comme Obernai, dont la prospérité ne s’était pas démentie depuis l’époque de la Renaissance, les coûteuses dentelles tuyautées étaient la marque d’une classe bourgeoise aisée.

 

Coiffe typique des bourgeoises de Colmar
Musée Unterlinden – Colmar

Cette mode se retrouvait également à Colmar, en complément des curieux bonnets dorés de forme aplatie portés par les femmes de la ville. (La forme aplatie de ces bonnets était sans doute influencée par celle des riches schneppers des grandes bourgeoises et aristocrates de Strasbourg.)

De la ville à la campagne

Délaissées après la Révolution par les riches citadines, ces bonnets dorés, auréolés de dentelle, restèrent en vogue dans les villages voisins jusqu’au milieu du 19è siècle, comme par exemple Krautergersheim et Meistratzheim. (Ce glissement de la mode aristocratique vers les milieux plus populaires représente une constante dans l’histoire des tenues traditionnelles.)

Appelés Sunnerkapp ou Pfauerad , ils étaient fièrement portés les dimanches et jours de grandes fêtes, remplacés les jours ordinaires par de petits bonnets matelassés.

 

Jeune femme en tenue de noces à Grendelbruch – Charles Spindler – BNU Strasbourg NIM00875
Jeune fille et femme des environs d’Obernai – Charles Spindler – BNU Strasbourg NIM00868

 

Tenue de noces à Grendelbruch. Intéressante vue de dos sur le costume, avec ses basques courtes –Charles Spindler – BNU Strasbourg NIM00875

Charles Spindler a consacré plusieurs de ses dessins à ces bonnets auréolés de larges dentelles. L’une de ses lithographies retient l’attention en attestant notamment de la présence d’une telle coiffe à Grendelbruch (près d’Obernai) à l’occasion d’une noce en 1830.

 

Femmes de Krautergersheim – Varady – BNU Strasbourg NIM27666
En 1860, cette coiffe fait encore la fierté des paysannes aisées de Krautergersheim.

Ce qui permet, à l’époque, au photographe Adam Varadyde nous livrer la vision étonnante de femmes habillées comme des princesses, évoluant dans le décor rustique de simples cours de ferme.

 

Femmes de Krautergersheim – Photo de Adam Varady – BNU Strasbourg NIM11039

Le déclin

Au cours du 19è siècle, son aire d’extension s’est rétrécie. Progressivement abandonné par les riches bourgeoises citadines, le grand soleil de dentelle n’est plus porté que dans quelques villages proches d’Obernai, devenant au final l’apanage des seules femmes de Meistratzheim,

 

Jeunes filles et femmes de Meistratzheim portant la coiffe soleil ou le petit bonnet avec nœud de coté.

 

Fragile et encombrant, d’allure démodée pour certaines, il y est même souvent remplacé par un petit bonnet à bride, venant se fermer sur le coté, à la manière de ceux portés plus au nord, à Bischoffsheim ou Molsheim.

 

Femme de Molsheim avec son petit bonnet à bride – Charles Sindler – BNU Strasbourg NIM27694
Costumes de Meistrazheim – La femme porte un bonnet à bride garni sur le coté d’un grand nœud de ruban – Dessin de P. Kauffmann – BNU Strasbourg NIM22774

Ce petit bonnet est agrémenté d’un large flot de ruban, noué de coté en un gros noeud et retombant presque jusqu’aux genoux. Ces rubans de soie, à motifs écossais ou fleuris, sont identiques à ceux utilisés dans le Kochersberg pour les coiffes des jeunes filles catholiques.

A l’autre extrémité de l’hexagone

Bien loin de l’Alsace, par un jeu étonnant de miroir, une autre coiffe vient faire écho à la coiffe des femmes de Meistratzheim. C’est celle de la région de Boulogne sur Mer, dans le Pas de Calais.

Jeune femme de la région de Boulogne sur Mer.

 

Avec son large soleil de dentelle (de Calais !), cette coiffe apparaît presque semblable à celle portée en Alsace.

Jeunes femmes de Meistratzheim.

 

Un bref coup d’œil sur sa partie arrière suffit pourtant à marquer la différence entre les deux.

Pour Boulogne, le fond de coiffe est constitué exclusivement d’une fine toile brodée et ajourée. Contrairement à celle de Meistratzheim où l’auréole de dentelle s’appuie sur un bonnet rigide, rebrodé d’or.

Coiffes soleil de la région de Boulogne sur Mer.
Coiffe de Meistratzheim – Musée Alsacien de Strasbourg

Différence qui s’explique par une évolution d’ordre culturel : au 18è siècle, en France, ce sont les coiffes ″de lingerie″, en toile fine et dentelles qui ont pris le pas sur les autres modes féminines existantes, autant citadines que villageoises. Contrairement à une grande partie de l’Europe qui a vu le développement des goldhaube germaniques, čepeč tchèques et autres kokoshnik russes, tous élaborés sur le modèle de bonnets rigides, de formes et de tailles diverses, toujours richement rebrodés d’or.

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Crédit photo

Photo en-tête : Musée de Saverne – Palais des Rohan – Collection Marguerite Doerflinger

Documentation

  • Marguerite DOERFLINGER – Le Livre d’Heures des Coiffes d’Alsace.- Editions Oberlin – Strasbourg – 1981
  • Charles Spindler et Anselme Laugel – Costumes et coutumes d’Alsace – Version 2008 avec préface de Barbara Gatineau – Editions Place Stanislas

Liens

https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9capole_(Saint-Empire)

https://www.meistratzheim.fr/Histoire-patrimoine/Galerie-photos/Costumes-alsaciens.html

http://jean-pierre-d-aigremont.over-blog.com/pages/Meistratzheim-962333.html

https://herve-tavernier.e-monsite.com/pages/les-coiffes-le-soleil-et-le-toquet.html

https://saintsyriac.e-monsite.com/pages/le-soleil-la-coiffe-traditionnelle-calaisienne.html

 

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3 commentaires
  • Wagner
    25 janvier 2023

    Merci pour ce travail sur cette coiffe en particulier. Ma grand-mère, née en 1900 ,la porte sur une photo . Famille de Krautergersheim . Adolescente je lui ai demandé ce qu’était cette coiffe ? Elle ne m’avait répondu que « c’est une plus ancienne coiffe » . Je parlais de cette coiffe particulière avec une personne -sachant tout sur le sujet-il y a environ 12 ans . Je dis qu’elle était portée à Krautergersheim. Mais on m’oppose que non ! Pas possible ! C’est celle de Meistratzheim! ( Ma grand-mère ce serait …déguisée ?! Lol ) . Je laisse tomber . Pourtant M.Doerflinguer -elle même – le note dans un de ses bouquins . Ah! Marguerite ! Sur la photo ma grand- mère avait une vingtaine d’années.

    • Jocelyne Rueher
      24 février 2023

      Je puis vous confirmer que cette coiffe « soleil » s’est bien portée à Krautergersheim. L’une d’elle est conservée sous cette désignation au musée alsacien de Strasbourg(voir photo dans l’article). Elle était également portée à Obernai jusqu’à la fin du 19è siècle, pour ensuite se retirer dans quelques villages autour. Dont Meistratzheim qui l’a gardée le plus longtemps. La photo de votre grand-mère m’intéresse. Si vous acceptez de me la montrer. Merci à vous.

  • Angélique
    2 septembre 2022

    Bonjour,
    Je lis toujours vos articles avec beaucoup d’intérêt.
    Merci pour tout ce partage de connaissances…
    Bien cordialement
    Angélique LEVY