La petite gardienne d’oie

La « Gänseliese », figure bien connue de la petite gardienne d’oies, fait partie de l’imagerie populaire alsacienne. Derrière cette image un peu naïve se profile un récit plus singulier qui chemine à travers des traditions complexes, autant chrétiennes que païennes, à la rencontre de l’un des saints majeurs du calendrier chrétien.

Une image révolue

Aujourd’hui disparues, les troupes d’oies ont longtemps fait partie du paysage rural. L’élevage de ces volatiles au caractère volontiers acariâtre, représentait un élément économique non négligeable, que ce soit pour la qualité de leur chair et de leurs plumes.

 

Charles Spindler- Vue de village

 

 

Détail de l’enseigne dessinée par Hansi pour la charcuterie Fincker à Colmar.

Nées au printemps, elles grandissaient en liberté pendant l’été, déambulant dans les rues des villages ou allant patauger dans les mares aux alentours, sous la garde plus ou moins attentive de jeunes enfants.

 

Mietesheim – 1907- Cortège du meesti – BNU Strasbourg NIM12450

Après la récolte des grains, les oies étaient enfermées pour être engraissées et gavées.

A l’automne, elles étaient prêtes à être vendues ou utilisées pour le paiement d’une partie des fermages.

 

L’oie de la St Martin

Comme dans d’autres régions en France ou en Europe, il était de tradition en Alsace de déguster une oie rôtie le jour de la St Martin (11 novembre).

Au Moyen Âge, cette date représentait un moment festif avant une période de jeûne appelée « petit Carême » qui inaugurait le temps de l’Avent. L’oie se retrouvait donc naturellement au menu .

 

Albert Anker – 1861 – Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel

A cette période, les récoltes étaient rentrées et l’on se préparait pour l’hiver , les dictons étant là pour rappeler que :

– Sankt Martin, für in’s Kamin  (À la Saint-Martin, début du feu dans la cheminée)

– Sankt Martin, sitz mit Dank, Schun uf d’r Ofebank  (à la Saint Martin, assieds-toi, avec gratitude, bien vite sur le banc du poêle)

Car, en Alsace, comme dans de nombreux pays de traditions germaniques, les poêles en céramique (Kunscht) comportent souvent une ou deux marches intégrées à leur maçonnerie sur lesquelles on peut s’assoir et se réchauffer.

 

La foire de la St Martin

Ce moment particulier, juste avant l’hiver, représentait souvent une période faste pour la paysannerie. Les récoltes étant faites et en partie vendues (quand tout allait bien), il y avait de l’argent pour régler ses dettes, payer les baux de fermage.

Un peu partout en Europe, se déroulaient alors de grandes foires, en particulier celle de la Saint Martin . On y venait pour acheter ou vendre du bétail, acquérir des biens ou marchandises de toutes sortes: outils et ustensiles, pièces textiles, etc …

C’était aussi un moment important pour les domestiques puisque cette date marquait la fin des contrats d’embauche des domestiques et où servantes et valets se cherchaient une nouvelle place.

 

Foire Simon et Jude à Habsheim -phot. Alsace – Darek Szuster.

 

La foire aux servantes

Un tableau bien connu nous donne un aperçu de cet instant particulier de la vie paysanne, dit Bündeslesdaa (jour des baluchons) et de la manière dont pouvait s’organiser la rencontre entre servantes et leurs employeurs potentiels .

Charles-François Marchal – La foire aux servantes – Musée de Bouxwiller.

La scène se déroule à Bouxwiller, l’artiste ayant amalgamé plusieurs édifices de la cité pour offrir une vision idéalisée de la petite ville.

Une dizaine de jeunes filles, placées en rang le long d’une maison, font face à quelques propriétaires fermiers, certains profitant de l’occasion pour se livrer sur elles à quelques privautés, leur examinant les dents ou leur tâtant la poitrine.

Le marché conclu, le nouveau maître donnait au valet ou à la servante engagée, un sou en argent, le Gottspfenning (le sou de Dieu).

Les costumes masculins et féminins ici représentés sont ceux du milieu du 19è siècle, ce qui permet d’en constater l’évolution, en particulier au niveau des femmes.

Et de remarquer la manière dont est noué le nœud des coiffes féminines, selon un format réduit, avec des pans courts retombant de part et d’autre.

 

Ces foires aux valets ou servantes, »Gesindemärik », se déroulaient du nord au sud de la région, en fonction des foires et des fêtes locales. En novembre pour Altkirch, au sud de la région, avec la foire St Catherine (25 novembre) ou en décembre, à Bouxwiller, pour la St Étienne.

Au premier plan du tableau, une oie vient discrètement rappeler la date de la St Martin, à laquelle se terminaient les contrats des domestiques.

 

St Martin dans l’assiette

De nombreuses traditions culinaires se sont agrégées à cette date de la Saint Martin :

Les danois pratiquent le Mortens Aften, veillée de la Saint Martin, en mettant l’oie (parfois du canard) au menu. En Allemagne, cette dégustation s’accompagne de choux rouges et de quenelles de pomme de terre (Knödels) ou de pain (Klöße).

En Slovénie, St Martin est vu plus spécialement comme le protecteur du vin. Au fil du temps, sa fête a pris l’allure d’un rendez-vous vinicole et gastronomique apprécié.

L’oie de la Saint Martin avec sa garniture de choux rouge et ses Knödels traditionnelles.

 

Rogal świętomarciński polonais.

Pour les portugais, la Festa de São Martinho, est l’occasion de boire de l’Água-pé, boisson à base de marc de raisin dilué dans l’eau, tout en mangeant des marrons grillés.

 

A Poznań, en Pologne de l’ouest, on déguste les rogal świętomarciński, croissants de la Saint Matin, pâtisserie sucrée et fourrée de graines de pavot blanc, amandes et fruits secs.

 

Les cortèges de la St Martin

Saint Martin à Wangen (ouest Strasbourg) – phot. David Geiss pour DNA.
 En Lettonie comme en Allemagne, de nombreuses villes organisent des défilés avec un cavalier vêtu en soldat romain figurant St Martin.

 

Tradition qui s’est perdue en Alsace, quelques tentatives apparaissant ici et là pour essayer de la faire renaître.

 

 

 

C’est à Bonn (Allemagne de l’ouest) que cette fête revêt le plus de faste avec un grand cortège réunissant de nombreux enfants portant des lanternes.

La fête se termine autour d’un grand feu, avec mise en scène de la légende de St Martin donnant la moitié de son manteau à un mendiant, à la manière des grands mystères du Moyen Âge.

 

Jusqu’au 19è siècle et selon une tradition plus ancienne, c’est un cortège d’oies, entourées de musiciens et de chanteurs portant des flambeaux qui traversait la ville pour célébrer le Martinstag.

 

Une fontaine, située à proximité de la cathédrale, vient rappeler le caractère particulier de ces grandes processions.  Elle est surmontée d’un garçon tenant une lanterne. Dans le bassin à ses pieds, s’ébattent des enfants et, bien sûr, des oies !

 

 

 

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Un grand remerciement à Mr Guy Untereiner pour la mise à disposition de son illustration

ainsi qu’au musée de Bouxwiller, pour son soutien bienveillant.

 

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Documentation

  • Gérard Charles – L’ancienne Alsace à table – Paris Éditions Berger-Levrault. 1867
  • Marguerite Doerflinger et Gérard Leser – Toute l’Alsace, à la quête de l’Alsace profonde – Rites, traditions, Contes et légendes – Editions SAEP – Ingersheim – Colmar. 1986
  • Bernard Vogler – L’Almanach de l’Alsace  –  Éditions Larousse – Paris 2001
  • Isabelle Bianquis et Jean-Pierre Williot – L’oie rôtie de la Saint-Martin : entre calendrier martinien et registre culinaire d’abondance – Journal de l’Académie des sciences polonaises – Paris . 2017

Liens

https://elevage-gavage.fr/le-patrimoine/la-tradition-rurale

https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Foire_aux_servantes

https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Martin_(Allemagne)

https://www.nouvelles-du-monde.com/fete-de-la-saint-martin-qui-etait-saint-martin-pourquoi-la-fete-de-la-saint-martin-est-elle-celebree/

 

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