La collerette – part. 2 – Récit d’un déclin

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Dans les dernières années du 19è siècle, la collerette qui accompagne le costume rural subit de manière de plus en plus appuyée les influences de la mode citadine. Parallèlement à la coiffe, elle voit ses dimensions, son allure se modifier. L’introduction de matériaux nouveaux vont la conduire vers une forme d’apogée qui préfigure, de manière paradoxale, son déclin ultérieur.

La mode citadine

A la fin du 19è siècle, la dentelle est à la mode. Elle se retrouve sur les robes des femmes ainsi que sur les accessoires qui accompagnent leurs toilettes, tels que mouchoirs, réticules ou ombrelles.

De somptueux cols, réalisés dans ce même matériau précieux, viennent y apporter un supplément d’élégance.
(Découvrir ici un exemple de ces robes de dentelle.)

 

Col de dentelle époque 1900.
Élégante descendant de voiture, dans une magnifique robe de dentelle – Année 1902.
Un mariage alsacien en 1900 – La mariée porte une robe de coupe citadine, complétée par un large col de dentelle. Mais elle est restée fidèle à sa coiffe et son tablier, éléments incontournables du costume alsacien.

et ses influences

En Alsace, les tenues villageoises, dans les dernières années du 19è siècle et les débuts du 20è, se montrent de plus en plus influencées par les modes ″de la grande ville″.

Le mélange des éléments de type citadin avec les costumes ruraux crée de surprenantes associations vestimentaires.

 

Une mixité des apparences très différente selon le milieu social, la proximité plus ou moins grande de la ville mais de laquelle émerge une constante: quel que soit leur niveau d’adaptation aux modes, les alsaciennes restent toujours très attachées à la coiffe et au tablier, éléments considérés depuis plusieurs siècles comme indissociables de la tenue féminine.

(Lire: l’indispensable tablier.)

 

La collerette peut être vue comme la pièce la plus révélatrice de ces influences. Soit par l’emploi de matériaux identiques à ceux des cols citadins (exemple ci-dessous), soit par un réemploi direct sur le costume rural.

 

Collerette paysanne avec broderie anglaise sur l’empiècement central et large dentelle de tulle brodé sur le pourtour – Collection Costumes d’Alsace.

 

Jolie association de broderie à l’anglaise et tulle brodé sur une collerette enfantine – Musée Truchtersheim – © J.Rueher.

 

Des matériaux nouveaux

Le tulle et la broderie anglaise tendent ainsi à remplacer les dentelles de coton, crochetées ou tricotées, entrant auparavant dans la confection des collerettes.
Un changement de procédé symptomatique de l’interpénétration des modes, avec une incidence directe sur l’évolution générale du costume et celle de la collerette en particulier.

Un changement de dimension

Avec l’introduction des dentelles de tulle, les collerettes prennent de nouvelles proportions, pas toujours très esthétiques, débordant largement sur les épaules et le haut du costume, en occultant une bonne partie du vorstecker.

 

Collerette à bordure de tulle et guipure autour d’un empiècement en carré – Musée Truchtersheim – © J.Rueher.
Musée Truchtersheim – © J.Rueher
Gustave Stoskopf – Portrait d’alsacienne.
Carte postale vers 1910.

 

 

Des dentelles larges que l’on retrouve également sur les chemisiers dont les manches sont raccourcies au coude.

 

Des manches qui perdent leurs savants plis amidonnés pour prendre une forme en ballon, avec volants imitant le style des ″engageantes″ du 18è siècle.

 

Des modifications qui se diffusent à partir de Strasbourg où il est d’usage pour les grandes bourgeoises de porter le costume traditionnel en certaines occasions. Un costume auquel elles n’hésitent pas à apporter quelques ″aménagements″ afin de l’adapter à la mode du moment et qui vont dans le sens d’une sorte de ″modernisation″ du costume.

Par touches successives, ces transformations se transmettent au costume rural, conduisant à une lente érosion de ses caractéristiques.

Célèbre photo d’une bourgeoise de Strasbourg, à la fin du 19è siècle, portant un costume traditionnel ″modernisé″.
Femme et fillette de Duntzenheim – La paysanne a adopté le chemisier à la mode, avec manches raccourcies – BNU Strasbourg NIM12859.

Du carré au rond

On observe ainsi la manière dont certains modèles, par mimétisme, abandonnent le format carré des origines et prennent l’allure d’un large col rond.

 

Collerette ou col (?), de forme ronde – Musée Truchtersheim – © J.Rueher

 

 

L’empiècement carré central, sur lequel s’organise la répartition des dentelles disparaît ou s’arrondit à son tour.

Dans le même temps, les liens qui permettent de retenir la collerette sous les aisselles sont supprimés, effaçant un élément supplémentaire de ce qui faisait la spécificité du costume original.

 

Des détails d’agencement qui rendent particulièrement flous les attributions de certaines des pièces conservées de nos jours et peuvent induire en erreur quant à leur interprétation.

Il semble toutefois clair que certaines des collerettes portées avec le costume rural sont des emprunts directs à des tenues de ville.

Exemple de collerette, agencée sur un format totalement rond et visiblement calquée sur un modèle citadin – Musée Truchtersheim – © J.Rueher

Une différentiation communautaire

Ce type de collerette semble avoir été particulièrement en vogue auprès des femmes catholiques (bien qu’il s’en retrouve aussi en accompagnement du costume protestant).

Jeune fille du village catholique de Geispolsheim portant une collerette de format rond – peinture de Charles Spindler

 

Femmes dans une cour à Hoerdt (village à forte dominante protestante) – Au fond, l’une d’elles porte un col rond – Certaines ont des chemisiers à manches longues, celle au centre, une version raccourcie avec large manchette – BNU Strasbourg -NIM13267

Les domestiques, souvent de confession catholique, employées dans les grandes maisons bourgeoises de Strasbourg, ont sans doute aidé à la diffusion de ces modèles de forme ronde.

Il est par ailleurs intéressant d’observer que la collerette de format carré s’est mieux conservée dans le pays de Hanau, bastion du protestantisme, soit par éloignement géographique par rapport à Strasbourg, soit par un effet de conservatisme vestimentaire.

Une pièce devenue superflue

Après la défaite de 1870, beaucoup d’alsaciens se sont exilés à Paris ou Nancy. Souvent d’origine strasbourgeoise, ils y apportent avec eux une vision très schématisée du costume ″alsacien″ Celui-ci devient un étendard, un symbole identitaire de la province perdue.

Carte postale patriotique avec alsacienne, le drapeau français à la main, piétinant le poteau frontière avec l’Empire Allemand. Son costume, simplifié à l’extrême, ne conserve qu’une coiffe contrefaite.

Des images basées sur ce standard vont alors être produites en très grand nombre. Réalisées la plupart du temps dans des ateliers photos, par des personnes peu au fait des traditions alsaciennes, elles ont pour but premier l’entretien de l’élan patriotique, la restitution fidèle du costume passant totalement au second plan.

 

 

D’où la création d’images théâtralisées, presque caricaturales, qui se bornent à reprendre l’aspect le plus connu du grand public, à savoir le grand nœud noir. Le reste du costume est largement réinterprété, perdant tous ses particularismes.

 

 

La fabrique des erreurs

On peut sourire ou grincer des dents, selon l’humeur, devant ces images à visée essentiellement patriotique. C’est oublier qu’elles ont servi par la suite de modèles aux tenues fabriquées pour les défilés de la Libération, continuant de perpétuer une image erronée du costume traditionnel.

On ne s’étonnera donc pas d’y relever, entre autres ″erreurs″ plus ou moins vénielles, l’absence de collerettes, la plupart du temps remplacées par des chemisiers modernes.

Image d’alsacienne vers 1920. Le haut lacé est emprunté à un costume suisse ou allemand (!) complété par un chemisier moderne. Le volant large autour du cou tient lieu de collerette.
Femme en tenue d’alsacienne revisitée, version 1930. Le col à petit volant du chemisier remplace la collerette.

Une attitude qu’il n’est malheureusement pas rare de retrouver de nos jours où l’on voit ressurgir pour les besoins de la cause touristique, ces avatars des années d’après guerre.

 

Mais où sont les belles collerettes d’antan ?

 

 

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Un remerciement appuyé à Marie – Claire Burger de la Maison du Kochersberg à Truchtersheim ainsi qu’à Erwan de Costumes d’Alsace.

 

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Documentation

  • Dentelles de France – Comment les reconnaître – Mick Fouriscot – Éditions Christine Bonneton – 2018
  • Les dentelles – Ouvrage collectif – Réunion des Musées Nationaux – Décitre Éditeur – 1992

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Liens

https://www.french-crea-vintage.com/1900/1784-revue-complete-de-la-mode-illustree-1900-n18.html

https://cdn.drouot.com/d/catalogue?path=coutau/26102016/Coutau_26102016_hd.pdf

https://femmes-1900.com/robe-1900/

https://www.myhauteloire.fr/nos-secrets-partages/la-dentelle-dhier-a-aujourdhui-au-musee-des-manufactures-de-dentelles-de-retournac/

https://dentelles-confederees.fr/2024/04/16/le-tulle-et-le-poinct-de-tulle/

https://petitehistoireducostume.blogspot.com/2018/04/dentelles.html

https://rochefortenhistoire.wordpress.com/2016/12/09/un-jour-un-tissu-historique-le-tulle/

https://www.riedisheim.fr/actualite/riedisheim-le-8-mai-1945/

 

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