broderie de Lunéville – entre Campagne et Haute Couture

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Nombres de nos régions ont été le creuset de savoir-faire qui ont permis à la mode française d’acquérir son aura actuelle. Valencienne, Alençon, le Puy, etc … sont autant de centres de production reconnus dans le monde entier. Moins connue, la broderie de Lunéville a connu la célébrité à la fin du 19è siècle grâce aux grands couturiers parisiens qui ont profité de l’exceptionnel potentiel de cette broderie pour créer des modèles de robes extraordinaires.

Une production bien particulière

Broderie blanche de Lunéville.

 

A l’origine, la broderie de Lunéville est une broderie blanche, exécutée à l’aiguille sur de fines baptistes. C’est avec l’arrivée du tulle que cette technique de broderie va se développer, profitant de son autre spécificité qui est l’utilisation d’un crochet particulier comme outil de travail.

 

Dans les nombreux ateliers de la ville ainsi que dans les campagnes lorraines environnantes, des centaines de « petites mains » anonymes sont employées à cette production. En 1830, ce travail emploie de 150 000 à 200 000 femmes dans toute la Lorraine.

Coupées de Lunéville après la guerre de 1870, certains villages vosgiens deviendront des lieux de production indépendants, faisant travailler à leur tour jusqu’à 700 brodeuses.

Femme du pays de Sarrebourg avec son métier à broder.

Les « lunévilleuses »

Beaucoup de ces femmes travaillent à domicile, lorsque les travaux domestiques et ceux des champs leur en laissent le temps. Elles réalisent des commandes qui leur sont déposées par des sous-traitants, lesquels servent de relais entre les campagnes et les ateliers de ville. Leur salaire, qui représente pour elles un appoint non négligeable, est des plus misérable. Entre 1830 et 1850, il oscille entre 40 centimes et 1 franc pour 20 heures de travail. Alors que dans le même temps, 1 kilo de pain coute 25 centimes.

 

Elles s’usent les yeux en brodant le soir à la lueur des chandelles ou des lampes à pétroles, en s’aidant d’une cruche d’eau faisant loupe pour augmenter la lumière de la flamme. Aux beaux jours, c’est sur le pas de leur porte qu’on les voit s’installer avec leurs métiers à broder.

Une broderie enrichie de perles

Concurrencée par le développement des broderies mécaniques, la broderie de Lunéville va se relancer grâce à l’idée de Louis Ferry-Bonnechaux, industriel lorrain, d’appliquer la technique du crochet pour broder des perles sur le tulle.

Pose de perles au crochet, caractéristique de la broderie de Lunéville.

A partir de 1875, cette innovation apporte un nouveau souffle à une production jusqu’alors monochrome, fils blancs ou écrus brodés sur un tulle ou une baptiste de même teinte. La pose des perles et paillettes au crochet dynamise la production, ouvrant la voie à de nouvelles créations.

La broderie de Lunéville va ainsi connaître un engouement extraordinaire auprès du public et des grands couturiers.

La dextérité des « Lunévilleuses » permet la réalisation de modèles de broderies splendides, dessins floraux, arabesque de perles et motifs en relief sur les robes qui sortent des grandes maisons de couture parisiennes pour être portées par les élégantes de Paris à New York.

Un outil de mode

Les plus grands noms de la Haute Couture vont rivaliser de créativité pour employer au mieux ces réalisations qui allient la finesse du tulle brodé, avec le scintillement des perles et paillettes. La mode du début du 20è siècle raffole des effets particuliers de cette technique qui met en valeur des modèles dans le plus pur style Art Nouveau.

 

Une robe signée Jeanne Lanvin

Dans ce monde particulier du luxe, Jeanne Lanvin va très vite se faire un nom. Ayant débuté comme simple modiste, elle va grâce à son talent devenir rapidement une couturière adulée de la haute société.

 

La robe présentée ici est sortie des ateliers de cette grande maison de couture en 1912. Elle est un exemple parfait de l’utilisation de la broderie de Lunéville par les maisons de couture de l’époque. Conservée dans les collections du musée de Wesserling (au sud de l’Alsace), elle offre un très bon aperçu du travail splendide des Lunévilleuses.

Du haut en bas de la robe, on peut ainsi observer plusieurs types de broderies, depuis celle « d’origine » travaillée en blanc sur blanc, jusqu’à une technique plus élaborée intégrant des motifs en relief et en couleur. Le tout dans un accord subtil de tulle et de soie.

Des broderies raffinées

Détail du corsage.

Le corsage offre un dessin complexe de fleurs et de palmettes en relief, mélangeant  cordonnets de soie blanche et fils de couleur, le tout rehaussé par une doublure de soie bleue. Cette teinte bleue était d’ailleurs une des couleurs fétiches de Jeanne Lanvin.

Soie bleue que l’on retrouve ceinturant élégamment la taille, ainsi qu’en un rappel au bas de la jupe.

Depuis l’ourlet, de gracieux motifs s’accrochent au tulle, mettant en valeur la délicatesse du matériau.

 

Sur une bonne partie de la jupe, ces motifs n’utilisent que la technique du blanc sur blanc, en une savante opposition de style avec le décor beaucoup plus travaillé du corsage.

 

 

Une ligne épurée

L’ensemble de la robe est doublé d’une soie épaisse dont le tombé précis ajoute au raffinement de la coupe. Qualité des matières et préciosité des détails se conjuguent pour dessiner une silhouette élancée et délicate, en accord avec la mode de cette époque.

 

Une robe au parcours surprenant

Cette élégante toilette a aussi son histoire personnelle, laquelle ajoute un élément particulier au récit de cette rencontre entre le savoir faire des petites mains anonymes des Lunévilleuses et la Haute Couture.

Sa fiche d’inventaire nous apprend en effet un détail étonnant : elle a été gagnée lors d’une croisière par une dame de Lunéville.

Au regard d’un tel lot, on s’interroge volontiers sur  le prix de la traversée !

 

Une broutille sans doute pour les membres de la Bonne Société des débuts du 20ème siècle, si friands de ces voyages en paquebots de luxe. Dans un cadre privilégié, les passagers des ponts supérieurs profitaient des plaisirs de la traversée, entre mondanités et divertissements de bon ton.

Chaque moment de la journée fournissait à ceux que l’on n’appelait pas encore la « Jet Set » l’opportunité d’un changement de toilette, les tenues les plus sophistiquées étant réservées pour le repas du soir.

 

Affiche publicitaire de la compagnie White Star pour les deux fleurons de sa flotte, l’Olympic et le Titanic.

L’écho d’un monde évanoui

A travers cette robe, nous parvient l’écho de fastes surannés, ceux d’une époque révolue et pourtant pas si lointaine. Celle que Stephan Zweig nommait si justement « Le monde d’hier » et qui ressurgit ici à travers ces quelques points de broderies sur fond de tulle.

Nous sommes dans les années 1912, le Titanic prend la mer et des empires s’apprêtent également à sombrer, emportés par le fracas des armes.

 

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La broderie de Lunéville a été inscrite en 2020 à l’’inventaire national du patrimoine culturel immatériel par le ministère français de la culture.

Remerciements au Musée de Wesserling et à Mr François Tacquard, Président de l’Association de gestion du Parc de Wesserling.

à Isabelle Lucas pour son travail documentaire qui m’a fait découvrir la broderie de Lunéville.

Références

  • Les Brodeuses lunévilleuses – Gilbert Mercier – Editions de l’Est – Nancy – 1992
  • La Broderie de Lunéville – Mick Fouriscot et Roland Gravelier- Editions Didier Carpentier – 2003
  • La broderie perlée dans le Lunévillois et le Saintois – Marc Gabriel – NMG Edition – Nancy – 2015.

Liens

https://www.broderie-luneville.com/

https://actu.orange.fr/societe/videos/savoir-faire-a-la-decouverte-de-la-broderie-de-luneville-CNT000001u8uTQ.html

https://www.republicain-lorrain.fr/edition-sarrebourg-chateau-salins/2020/03/06/les-longs-hivers-des-brodeuses-de-perles-et-de-paillettes

https://www.lanvin.com/fr/jeanne-lanvin

https://www.fragrancefoundation.de/fileadmin/dokumente/news/The_Blue_Lanvin.pdf

https://www.parc-wesserling.fr

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