Quand l’Alsace revisitait la mode française

Au cours du 18ème siècle, les élites alsaciennes s’adaptent peu à peu à la mode venue de France. Elles y sont d’ailleurs fortement encouragées par des édits royaux qui visent à réprimer des comportements vestimentaires jugées trop « allemands ». Mais les habitudes ont la vie dure et pour les femmes, il est difficile d’abandonner ce qu’elles considèrent comme des composantes naturelles de leur tenue.

 

Une pièce essentielle de la parure féminine

Bien qu’habillée à la française, les alsaciennes ne renoncent pas à leur coiffe d’or. Portrait de Bourgeoise de la famille KOLB – 1742 – Musée de Saverne – Palais des Rohan

 

 

 

La pièce la plus prestigieuse de cette tenue est bien sûr la coiffe car c’est à travers elle que s’incarne le plus le statut social. Pour les alsaciennes, elle est totalement indissociable du reste du costume.

Surtout lorsque cette coiffe prend la forme d’un schnepper, coiffe à trois pointes, richement brodée d’or et d’argent, symbole d’appartenance à l’élite.

Raison pour laquelle les aristocrates et grandes bourgeoises ne peuvent y renoncer sans déchoir.

 

Les accessoires de la pudeur

Difficile aussi de s’habituer aux décolletés des robes à la française.

Les dames alsaciennes, culturellement habituées à une certaine retenue vestimentaire, usent donc de fichus de linon fin, brodés et bordés de dentelle qu’elles croisent plus ou moins largement sur la poitrine pour donner un aspect plus respectable à leur toilette.

 

Un style »couleur locale »

Schnepper doré sur cheveux poudrés, large fichu de dentelle brodé sur robe à la française. Exemple du mélange des modes en Alsace au 18è siècle. Strasbourg – Musée Historique.
Magreta G. SCHEVRERIN par J.F TREN – 1765. Strasbourg

Ces fichus sont complétés par des « Palatines » de dentelle et des tours de cou plus ou moins larges, noués sur la nuque.

S’y ajoutent des colliers d’ambre ou de corail, à plusieurs tours, accompagnés de grandes croix de pierreries.

La tradition populaire faisait grand cas de ces colliers, souvent offerts au moment des noces ou aux jeunes mères. Le corail était supposé encourager la fécondité, l’ambre étant quant à lui recommandé contre de nombreuses affections, en particulier les douleurs dentaires. D’où le grand succès de ces parures, quel que soit le milieu social.

Une mode très prude

Autre élément particulier, le port des longs gants ou mitaines, utilisés pour sortir en ville ou se rendre aux offices religieux.

Ils ne sont pas spécifiques à l’Alsace puisqu’on les retrouve portés ailleurs dans en Europe.

Ils y sont plutôt le lot des classes bourgeoises, plus conservatrices dans leur manière de se vêtir et apportent, là aussi, un correctif aux robes françaises dont les manches arrêtées au pli du coude dénudent largement les avant-bras.

 

Belle exemple de hautes mitaines en dentelle noire sur le portrait d’une riche bourgeoise de Munster. (Voir article)

Les longues mitaines permettaient de se conformer aux exigences de la mode, tout en respectant les principes de « modestie » exigées par les autorités morales.

Coiffe dorée, grand châle couvrant le décolleté, longs gants et large tablier feront longtemps partie de la tenue des alsaciennes – Ex-votos de la Basilique de Thierenbach.

Les ex-voto encore présents dans certaines églises de la région témoignent d’un usage qui s’est prolongé pendant plusieurs décennies après la fin de l’Ancien Régime.

 

Fille à la promenade – BNU Strasbourg – NIM22923

Le tablier, accessoire primordial

Les alsaciennes ont également du mal à se séparer de leur grand tablier. D’un métrage souvent important, réuni en plis serrés, il ajoute une allure bien particulière à la tenue.

Inscrit dans les habitudes vestimentaires locales, il y est considéré comme un synonyme de probité et de vertus ménagères.

S’en séparer apparaît presque comme une inconvenance vis-à-vis des obligations liées au statut féminin de l’époque. C’est pourquoi il est présent dans toutes les couches sociales, les grandes bourgeoises y étant autant attachées que les femmes de condition plus modeste.

Un mélange trop « province »

En mélangeant robes à la Française avec les accessoires propres à la mode locale, les alsaciennes créent un mélange des styles que ne manquent pas de remarquer les visiteurs.

A ce sujet, le savant Antoine Camus, de passage à Strasbourg à la fin du 18ème siècle, relève que si les femmes des classes supérieures sont habillées et coiffées selon les règles de la mode française et suivent les prescriptions du Journal de Paris, elles ne sont pas, selon lui, « mises à la parisienne« .

Bien qu’habillée selon « les temps nouveaux », l’alsacienne n’apparaît pas assez à la mode. Bourgeoise de Strasbourg – BNU NIM01016.

Petite remarque teintée d’un certain dédain et qui montre la vision toujours un peu méprisante que la capitale entretenait vis-à-vis de la province.

 

Un nœud de ruban déjà !

Portrait de l’épouse du Pasteur Kolb – Strasbourg
Un détail de la mode française se remarque sur certains portraits, celle du gros nœud de ruban qui retient les pans du fichu. Surnommé « le parfait contentement », il accompagnait la robe dite « à la Polonaise », particulièrement en vogue à la fin du 18è siècle. Et, bien que celle-ci ne soit pas représentée dans sa totalité, la simple présence de ce nœud suffit à l’indiquer, signalant également que le modèle est habillé selon la dernière mode.

L’usage du gros nœud de ruban persista malgré les changements de mode et se transmit tout naturellement aux tenues populaires.

Il apparaît ainsi sur deux portraits féminins, illustrant le passage du costume bourgeois, mâtiné de mode française de la fin de l’Ancien régime, à celui de paysanne aisée des débuts du 19è.

Piqué dans le vorstecker, il accompagne ici les débuts du grand nœud frontal, en une progression intéressante des modes et de juxtaposition des styles.

Anne-Marie Jörger (née Debus)  Musée Alsacien Strasbourg.

 

Marie Catherine Bauer (née Büehrel) Images du Musée Alsacien n°125 –  BNU NIM23154.

La transmission

Le costume « alsacien » couronné d’un grand nœud, tel qu’il se présente aujourd’hui et qui est le plus connu du grand public, a perdu ces particularités à force de « modernisation ».

Ce qui n’est pas le cas d’autres costumes, dans le nord de la région, qui continuent d’attester du savant mélange qui s’est opéré au 18è siècle entre modes françaises et germaniques, costume bourgeois et costume paysan.

Femme de Scheilthal – BNU NIM23171.
Femmes de Aschbach.

 

Ainsi, dans les villages tout au nord de la région tels que Oberseebach, Hunsbach, Aschbach mais aussi Schleithal ou Neéwiller, se retrouvent encore des éléments décoratifs empruntés à la mode française tels que tours de cou ou nœud de ruban piqués sur le devant de la poitrine pour retenir les plis du fichu.

Ces détails ornementaux témoignent de la manière dont le costume rural s’est approprié des éléments de costume issus de l’élite bourgeoise, conservant à travers eux la trace des influences culturelles diverses qui se sont rencontrées en Alsace au 18è siècle.

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Références

  • A.-G. Camus, Voyage dans les départements nouvellement réunis et dans les départements du Bas-Rhin, du Nord, etc., Paris, Baudoin, an XI-1803, t. I, p. 19.
  • Léone PrigentLes coiffes de l’Alsacienne – Signes identitaires provinciaux aux XVIIe et XVIIIe siècles – Presses universitaires du Septentrion, 2008

 

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