Portraits en miroir

Deux portraits, deux femmes, deux ambiances opposées. Ces deux portraits offrent la vision troublante d’un visage identique, présenté sous deux aspects différents. Qui sont ces dames ? A travers la recherche de leur identité, c’est toute la complexité des codes vestimentaires au 18ème siècle qui est ici mise en lumière.

Le jeu des sept erreurs

Datées du 18è siècle, ces deux portraits sont la propriété de la petite ville de Munster, en Alsace. Très proches quant au traitement général du sujet, ils se différencient fortement l’un de l’autre dès que l’on met leurs détails en parallèle, à la manière d’un jeu des sept erreurs. Ils illustrent notamment la manière dont la mode française était adaptée aux conventions de la mode locale (voir article sur la mode française revisitée). Mais plus encore, ils démontrent l’influence considérable du statut social sur le costume.

Une opposition appuyée

Les différences ne sautent pas immédiatement aux yeux, puisqu’elles portent essentiellement sur les détails vestimentaires. Ce qui frappe en premier lieu est l’opposition des tonalités d’ensemble, gamme de bleus d’un coté, de bruns de l’autre. À l’une la lumière, à l’autre le crépuscule, à l’une la jeunesse, à l’autre le versant descendant de la vie. Comme deux versions de la même personne. Impression renforcée par la ressemblance indiscutable entre les deux femmes.

Deux versions d’un même costume

Une observation plus attentive permet de s’apercevoir à quel point ces deux portraits se ressemblent malgré leurs multiples divergences. La coupe du costume est identique. Même forme du corsage avec fermeture sur l’avant. Mêmes accessoires pour accompagner la toilette, tel que le fichu, les engageantes ou même les longues mitaines en dentelle. Et surtout, coiffure identique, couronnée du schnepper si prisé par les dames d’Alsace. De fait, ce qui créé la différence, c’est la qualité des textiles utilisés.

La dame en bleu

La qualité de ce costume est indéniable. Il est taillé dans une belle soie bleue avec motifs de rubans froncés en appliqué, bordés de fines mouchetures blanches. Les engageantes et le fichu sont de la même baptiste transparente, bordée de dentelle de Valencienne. Plusieurs détails ajoutent au raffinement de la tenue : petit nœud aux emmanchures, bijoux breloques agrafés au bas du corsage, tour de cou de dentelle noire, noué sur la nuque selon la mode de l’époque. Sans oublier le schnepper brodé d’or.

Au 18è siècle, le schnepper est la coiffure de l’élite alsacienne. De forme ronde avec trois pointes (une sur le front et les deux autres sur les tempes), il pouvait être brodé d’or ou d’argent dans ses versions les plus luxueuses.

La dame en brun

Changement complet d’ambiance pour l’autre personnage. Si la pose est identique, nous sommes dans un tout autre registre.  Sobriété des tons, simplicité des formes, absence de fioritures, l’austérité de l’ensemble tranche totalement avec le portrait précédent. La coupe du corsage est la même mais taillée dans une étoffe plus simple, sans fioritures. Peut-être un drap de laine.

Les accessoires accompagnant la tenue expriment eux aussi la même recherche de simplicité : fichu en toile moins transparente, engageantes de même nature. Sur les cheveux non poudrés, le schnepper n’est pas doré mais en fils d’argent. Même la rose s’est muée en un modeste œillet. (De couleur écarlate tout de même !)

Un costume carte de visite

Au 18è siècle, comme d’ailleurs dans les époques qui précédent, le costume n’est pas qu’une question de choix personnel. Il est régi par une cohorte d’obligations qui encadrent très rigoureusement l’apparence des personnes, chacun devant se conformer à des codes rigoureux basés sur la richesse et le rang social. Ainsi, l’usage des étoffes luxueuses telle que la soie est réservé à l’élite bourgeoise et aristocratique. Les autres classes doivent se contenter de tissus plus communs et moins fragiles, de couleur moins voyante. Idem pour les accessoires dont la qualité se doit de refléter l’appartenance à un rang inférieur.

L’expression d’une différence sociale

Derrière le choix d’un portrait, il y a aussi celui de se mettre en scène, de fixer son apparence aux yeux du monde. Il faut s’y montrer à son avantage, dans un costume reflétant son aisance financière et son rang. Dans le cas qui nous préoccupe, les personnes intéressées ayant les moyens de commander un portrait pouvaient également s’offrir toutes deux une tenue luxueuse et de se faire représenter avec. Pourtant, ce n’est pas le cas, d’où l’opposition flagrante existant entre ces deux portraits.

Selon toute hypothèse, elles n’appartenaient pas au même milieu social, ce qui peut expliquer la manière dont elles sont représentées. Mais alors, qui sont elles ?

La suite de l’énigme dans la partie 2 de « Portraits en miroir »

Remerciements

  • Société d’Histoire du Val et de la Ville de Munster en la personne de Mr Gérard LESER
  • Ville de Munster

Références

  • Article dans l’Annuaire de la Société d’Histoire du Val et de la Ville de Munster de 2009.

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