Au bal avec les dames de Strasbourg

Au 17è siècle, les bourgeoises de Strasbourg se chaussaient d’élégants escarpins que les fashionistas de notre époque ne renieraient pas. De facture particulièrement raffinée, ils se signalent par de gracieux talons rouges, lesquels ne sont pas sans rappeler une marque actuelle, célèbre pour ses semelles rouges.

De coquets escarpins

 

 

En 1681, les troupes du Roi Soleil, qui prennent possession de Strasbourg, se montrent très surpris par le costume des élites bourgeoises de la ville. Ils sont bien davantage frappés par le grand bicorne porté par les femmes et l’allure archaïque de leur costume que par leurs chaussures.

Et pourtant …

Un ensemble rare

Le Musée Historique de Strasbourg conserve dans ses collections un exemplaire complet de ce type de costume. L’intérêt de cet ensemble réside dans le fait qu’il rassemble la presque totalité de la tenue, robe et dessous (jupons et paniers) mais également ses éléments complémentaires tels que chapeau, bijoux ainsi que bas et chaussures. Le tout apporte un témoignage précieux sur les comportements vestimentaires de l’époque. (voir article sur le costume de Strasbourg ici)

Des finitions très soignées

Musée Historique – Strasbourg
Il existe quelques rares exemplaires de ces chaussures, répartis dans des musées français et étrangers. Leur forme est identique, à quelques détails près au niveau des motifs. L’allure est ouverte, avec une fine empeignesur laquelle viennent se rattacher deux brides latérales. L’ensemble est réalisé avec beaucoup de raffinement, dans des cuirs de grande qualité (chevreau). Deux épaisseurs de peau sont utilisées, la couche supérieure foncée étant finement découpée pour créer des motifs contrastants sur la partie claire du dessous. Bords et attaches sont festonnés à l’identique.

Une allure particulière

Le détail le plus frappant reste la forme des talons (il convient de noter que la paire de chaussures exposée à Strasbourg a été amputée de ses bouts pointus).

Autre paire conservé au Musée Unterlinden  de Colmar – Une petite pierre bleue ciselée orne la partie où les brides latérales rejoignent l’empeigne.

Une version moins raffinée avec bordures, empeigne centrale et attaches latérales moins découpées. La partie avant est de conception plus refermée, les talons sont moins hauts – Museum of Fine Arts- Boston

On ne court pas avec de telles chaussures. Le positionnement des talons, placés très en dessous du pied, oblige à se déplacer avec lenteur et prudence, d’une manière un peu glissée, qui vient accentuer la posture altière donnée par le reste du costume.

L’inconfort au service de l’élégance

On peut s’étonner de l’inconfort que devaient générer de telles chaussures. Inconfort qui était souvent la règle à une époque où il n’existait pas de différence entre la chaussure de gauche et celle de droite. La diversification apparaissait à mesure qu’elles étaient portées et prenaient la forme du pied.

Il suffit de se souvenir des Précieuses du Grand Siècle, appelant leurs pieds « les chers souffrants », pour comprendre l’incommodité qui en découlait.

Ces fameux escarpins venaient en complément d’une tenue déjà très contraignante : haut corset baleiné, vêtements lourds et encombrants, à épaisseurs multiples, le tout en accord avec une certaine idée de l’élégance. (voir article précédent sur le vorstecker)

Des chaussures de cérémonie

On imagine mal une femme affrontant le bourbier des rues juchée sur ces fameux talons rouges. L’évidente fragilité de ces chaussures en restreignait naturellement l’usage à des lieux préservés où le caractère représentatif du costume pouvait être mis en valeur : parcs et jardins, salons et demeures bourgeoises, lieux de culte … Les divers événements de la vie sociale, fêtes religieuses ou profanes, bals et réceptions pouvaient s’y dérouler en toute quiétude et offrir aux dames et jeunes filles l’occasion de parader en équilibre sur leurs talons étroits, engoncées dans leurs plus beaux vêtements.

Jeune fille de Strasbourg en « grande tenue » bourgeoise.

Une mode étrange

La mode des chaussures à talons rouges n’était pas une spécificité strasbourgeoise. Ce qui peut expliquer que les français nouvellement arrivés n’en firent pas mention. A Versailles, les messieurs se l’étaient appropriée depuis déjà plusieurs années.

Une légende tenace

La légende veut que ce soit, Monsieur, frère du roi Louis XIV et « fashion victim » avant l’heure, qui ait lancé cette mode particulière. Parcourant Paris une nuit de débauche, il aurait traversé le quartier des bouchers, trempant au passage ses chaussures dans le sang des animaux. L’effet produit faisant aussitôt mouche à la Cour, les courtisans se seraient empressés de le copier, le talon rouge devenant dès lors un symbole de la haute aristocratie.

Portrait de Monsieur par Pierre Mignard – Musée des Beaux-Arts de Bordeaux
De petite taille, Monsieur affectionnait les talons hauts. Paire de chaussures lui ayant appartenu, conservée au Musée des Arts Décoratifs de Paris.

Une histoire « inventée »

L’histoire des talons rouges de Monsieur est séduisante (on ne prête qu’aux riches) mais elle ne résiste pas à l’analyse. Les portraits de son père Louis XIII indiquent que, dès avant sa naissance (en 1640), la mode existait déjà en France. Coquetterie également appréciée de l’autre coté de la Manche, par les gentilshommes de l’aristocratie anglaise.

Louis XIII couronné par la victoire, après le siège de La Rochelle. vers 1628
Lord John Stuart et son frère, vers 1638 – Van Dick – National Gallery Londres

L’origine réelle de cette mode demeure donc difficile à préciser. Elle perdura à la Cour de France pendant tout le 17è siècle, l’expression « être très talons rouges » devenant par la suite synonyme d’un comportement hautain.

 

Des chaussures dans une vitrine

Dans sa vitrine, la jolie paire de chaussures nous renvoie l’image fugitive des dames de Strasbourg, se rendant au bal ou à la promenade, campées sur leurs talons pointus, dans un bruissement d’étoffes raides.

Références

  • Jacques Levron – La cour de Versailles aux 17è et 18è siècles – Editions Hachette – (réédition 1996)
  • Luxe, cuir et volupté – Histoire de la chaussure – Helen Persson – Editions Flammarion 2015
  • Marche et démarche. Une histoire de la chaussure – Catalogue d’exposition – Ouvrage collectif – Edition MAD – 2019

Liens

https://www.herodote.net/24_octobre_1681-evenement-16811024.php

https://histoiredeschaussures.com/2013/06/11/histoire-de-la-chaussure-a-talons/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Talon_haut

https://les-apn-belgique.webnode.fr/news/pas-de-rouge/

https://www.dicopathe.com/livre/dictionnaires-des-precieuses/

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1 commentaire
  • B.SCHOCK
    26 novembre 2020

    Bonjour et merci pour cet article passionnant. Descendante de Luthériens, Bourgeois de Strasbourg (Tribu des jardiniers) je suppose que mes ancêtres étaient plus sobres dans leurs tenues de fêtes ou non ? Qu’en pensez-vous ? Ceci dit ces chaussures sont merveilleuses et je découvre grâce à vous.