Chemise ou T-Shirt ?

Quel point commun entre la chemise traditionnelle et le tee-shirt des GI de l’armée américaine ? Leur rôle identique de sous-vêtement ainsi leur forme toute simple en T. (T-shirt !). Une allure directement héritée de l’Antiquité et qui témoigne de la pérennité étonnante à travers le temps de certains standards vestimentaires.

Un vêtement disparu

La chemise enlevée (détail) – Jean-Honoré Fragonard -1732/1806 – Musée du Louvre.
Pendant des siècles, la chemise a été indissociable du costume tant masculin que féminin.

Que l’on soit riche ou pauvre, c’était le vêtement de base sur lequel venaient s’ajouter les autres éléments de la tenue afin de constituer le costume.

Au cours du 20è siècle, une toute nouvelle pièce vestimentaire va pourtant venir prendre sa place: le tee-shirt.

Ce sont les acteurs hollywoodiens qui ont popularisé ce sous-vêtement utilisé au départ par l’armée américaine et plus particulièrement la Navy. .

L’image virile autant que glamour dispensée par des stars tels Clark Gable à James Dean (sans oublier Marlon Brando) permet au tee-shirt de devenir en quelques décennies la tenue unisexe et universelle que l’on connait, envoyant la chemise au placard.

A partir des années 1950, blouson et T-shirt deviennent des standards de la virilité vue par Hollywood.

 

Trop large, trop longue, celle-ci n’a pas su s’adapter aux profonds changements vestimentaires du 20è siècle (raccourcissement des jupes féminines, abandon du corset, tenues plus fonctionnelles et plus proches du corps.)

Tant et si bien que la chemise de nos aïeux, malgré un court retour en grâce pendant la période folk des années 1970, a finalement disparu de nos garde-robes modernes, le tee-shirt prenant définitivement sa succession.

Une histoire très ancienne

Avec leur forme en T toute simple, le t-shirt comme la chemise traditionnelle sont les héritiers directs de latunica″ romaine, portée autant par les hommes sous leur toge que par les femmes sous la stola .

Petit esclave portant une tunique – détail d’une mosaïque romaine.

 

La forme de la tunica s’est naturellement transmise à la chemise. Laquelle a traversé sous cet aspect toute l’histoire du costume occidental , sans que cette coupe initiale soit  beaucoup modifiée.

Chemise traditionnelle avec sa forme droite en T, héritée de la tunique romaine.

Un vêtement de base

A l’époque médiévale, on lui ajoute des pièces, taillées en triangle sur les cotés et sous les manches, pour lui donner plus d’ampleur.

Reprenant le rôle de la tunica, elle sert de base vestimentaire à l’ensemble des catégories sociales, du plus riche au plus pauvre, la qualité de son matériau faisant seule la différence.

C’est sur elle que viennent s’agréger les autres parties du costume, le nombre et la richesse de ces ″strates″ vestimentaires servant d’indicateurs sociaux.

Chemise attribuée à St François d’Assise (12ème-13ème siècle) – La forme en T est aisément reconnaissable ainsi que les pièces en triangle sur les cotés et sous les manches pour donner de l’ampleur.
Decameron -1432-BnF, Arsenal, manuscrit 5070 fol. 387 – détail

Le vêtement de l’intime

A travers l’histoire de la chemise, c’est aussi la relation confuse que nos ancêtres entretenaient avec la nudité qui se dessine, entre le caractère mouvant du ″dessous″ et du ″dessus″.

Car la chemise n’est pas faite pour être montrée.

En contact immédiat avec le corps, portée sans interruption de jour comme de nuit, c’est le vêtement de l’intime, celui qui n’apparaît que dans la sphère privée.

C’est pourquoi se présenter ″en chemise″ a été considéré pendant longtemps comme un comportement indécent, presque aussi choquant que celui de se montrer entièrement nu.

Et de l’indécence

L’épisode des bourgeois de Calais, au début de la Guerre de Cent Ans, illustre bien cet aspect particulier de la chemise.

En 1347, la ville qui vient de subir un siège de plusieurs mois, doit se rendre aux anglais. En signe de reddition, six bourgeois de la ville sont contraints de se livrer en otage à Édouard III, roi d’Angleterre.

Ils se présentent à lui en chemise, pieds nus et la corde au cou, dans une attitude de réédition très humiliante, restée dans les mémoires comme l’incarnation même de l’abaissement et de la dégradation sociale.

Les bourgeois de Calais, vêtus de leur seule chemise, remettent les clés de la ville à Édouard III, roi d’Angleterre. Chroniques de Froissart – BnF, ms. français 2663, fo 164 ro.

 

Portrait anonyme d’Adrienne Lecouvreur – 1692/1730 – Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie – Châlons-en-Champagne.

 

Au 18è siècle, se faire représenter en chemise est un geste audacieux.

Bien que d’apparence banale à nos yeux, ce portrait d’Adrienne Lecouvreur se veut pourtant d’une audace folle pour son époque.

Il précise le caractère marginal du modèle, comédienne très célèbre dont le mode de vie suscitait la réprobation des autorités religieuses.

Une apparence sobre

En Alsace, la chemise qui accompagne le costume traditionnel est d’une grande simplicité de forme.

Elle a gardé la coupe droite des origines, en forme de T. En dehors des manches qui en sont la seule partie visible, elle ne comporte pas d’ornementation particulière.

Elle est longue, toute droite, avec une ouverture fendue, plus ou moins profondément, sur le devant.

Lorsqu’elle n’est pas cachée par la collerette, la forme de la chemise traditionnelle apparaît dans toute sa simplicité. L’envoi du Tonkin (détail) – Camille Pabst – Musée des Beaux Arts – Mulhouse.

Les représentations picturales de cette chemise sont assez rares puisqu’elle est généralement cachée par la collerette ou par un châle drapé sur le haut de la poitrine.

Scène d’intérieur où la chemise se dévoile en toute simplicité – Les trois ages de la femme – Emile Stahl – 1885
En l’absence du fichu, la chemise se dévoile sous la petite veste – Louis Philippe Kamm – Musee d’art moderne – Strasbourg

 

Une confection à l’économie

La chemise traditionnelle est généralement en lin (ou coton pour les plus récentes) mais aussi en chanvre.

Étant en grande partie cachée sous les vêtements, elle est souvent travaillée à l’économie. Il arrive ainsi fréquemment que le haut et le bas ne soient pas taillés dans la même qualité de textile.

Ce qui se traduit par l’utilisation d’une toile plus fine, coton ou lin fin, pour la partie supérieure et chanvre ou lin plus grossier pour la partie basse.

Ce tissu plus fin est parfois même réservé à la confection des seules manches, unique partie apparente de la chemise.

Chemise en coton pour le haut et lin pour la partie basse – Collection Marguerite Doerflinger – Musée de Saverne, Palais des Rohan.

Pas de gaspillage

La recherche d’économie produisait parfois des effets étonnants.

Comme par exemple ici avec cette pièce de lin, d’un tissu plus grossier, insérée dans la partie haute d’une manche, ravaudage qui contraste avec la belle broderie ornant la couture d’épaule – Musée Historique de Haguenau.

 

Comme mentionné plus haut, les manches sont la seule partie visible de la chemise. Ces manches font souvent l’objet d’une ornementation soignée faite de plis et de jours en lignes superposées sur toute la partie basse de l’emmanchure.

A suivre …

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Documentation

  •  Jules QUICHERAT – Histoire du Costume en France depuis les temps les plus reculés jusqu à la fin du XVIIIème siècle – Librairie Hachette – Paris. 1877
  • André Blum – Histoire du costume : les modes au XVIIe et au XVIIIe siècle – Librairie Hachette – Paris. 1928
  • Folklore et tradition en Alsace – Editions SAEP – Colmar-Ingersheim 1973
  • A Laugel et Ch.Spindler – Costumes et coutumes d’Alsace – Editions Alsatia 1975
  • Daniel Roche – La culture des apparences – une histoire du vêtement (XVIIe et XVIIIe siècle) – Editions Fayard, coll. Point Histoire, Paris. 1989
  • Ceux d’Alsace – Charles Spindler – Editions Place Stanislas 2010
  • Mireille Tembouret – En bras de chemise Collection, Grammaire du vêtement occidental – Editions Esmod 2014

Liens

https://mistertee.fr/blog/lhistoire-du-t-shirt-de-sous-vetement-icone-de-mode

https://www.bretagne.com/fr/la-bretagne/sa-culture/ses-symboles/histoire-de-la-mariniere

https://www.patrimoine-histoire.fr/P_Centre/ArgentonCreuse/Argenton-Musee-de-la-Chemiserie.htm

https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Bourgeois_de_Calais

https://www.comedie-francaise.fr/fr/artiste/adrienne-lecouvreur#

 

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1 commentaire
  • Annick Meyer
    11 janvier 2024

    eh ben , j’attends impatiemment la suite!
    Toujours intéressants, tes articles… j’aime la subtilité de tes recherches et les différents rapprochements à travers les siècles.
    Bonne suite et à bientôt
    Annick