L’Alsace fleurie – Le casaquin ″Bonnes Herbes″ de Mulhouse

Un casaquin conservé au Musée Historique de Mulhouse offre un éclairage intéressant sur la mode alsacienne à la fin du 18è siècle, plus particulièrement celle de la partie sud de la région. Par sa coupe et le tissu utilisé, il représente une synthèse intéressante entre les usages parisiens et la déclinaison qui pouvait s’en faire au plan local.

Un élégant casaquin

Casaquin de style ”Pierrot” fin 18è siècle, en Indienne imprimée ”Bonnes Herbes“ – Musée Historique de Mulhouse – © J.Rueher

 

 

 

Caraco en ”Pierrot” – Journal des Luxus und der Moden – 1791
La coupe est directement inspirée des caracos ou casaquins, appelés  Pierrot”, apparus à la fin du 18è siècle. Terminées par des basques courtes au bas du dos, ces petites vestes accompagnaient les tenues dites en ”déshabillé”, caractérisées par des jupes au format resserré, débarrassées des larges paniers.

 

Galerie des Modes et Costumes Français- 1785

Un “allégement” qui suscitait le scandale auprès des esprits conservateurs de l’époque et n’était pas toléré à la Cour de Versailles où le cérémonial de l’Etiquette interdisait tout aménagement vestimentaire non protocolaire.

Une mode jugée provocante

Le retroussis coquet du Pierrot, par l’allure particulière qu’il donnait aux tenues féminines, connut un grand succès. En partie par son caractère un peu licencieux mais aussi par la note de légèreté qu’il apportait dans l’habillement.

 

Ensemble jupe et caraco de mousseline brodée – Musée Galiéra – Paris
Casaquin mulhousien – détail des basques au dos – Musée Historique Mulhouse – © J.Rueher

 

Dans ses mémoires, le baron de Frénilly évoque le cri général qui se fit entendre contre les pierrots”. Lesquels avec l’espèce de petite queue d’oiseau retroussée au bas du corset affichaient une révolte ouverte à la fois contre les queues (traînes) et contre les paniers”.

 

Il pointe avec beaucoup de justesse les particularités de cette mode, et sans doute les raisons de son succès, en notant : en panier, la cocotte la plus légère avait l’air d’une matrone, en pierrot, la plus sévère matrone eut l’air d’une linotte”.

Des sources d’inspiration nouvelles

A cette époque, la mode est entrée dans un mouvement de renouvellement accéléré des formes et des codes qui vient bousculer les comportements vestimentaires. De nombreuses parutions, destinées à un public exclusivement féminin, se font l’écho de cette effervescence.

Tels le Cabinet des modes (périodique de mode français édité de 1785 à 1786) ou le Journal des dames, (créé dès 1759 ) lequel relève la multiplicité des modes qui se rivalisent, se croisent, se succèdent avec la rapidité des éclairs …” et la difficulté de rendre compte de toutes les nouveautés.

Une influence d’origine populaire

L’une des caractéristiques de la mode de la fin de l’Ancien Régime est le raccourcissement généralisé des jupes, dégageant la cheville et remontées sur les hanches.

Cette allure se calquait sur le comportement habituel des femmes de condition modeste, habituées à porter leur jupes relevées pour en protéger le bas. Précaution naturelle à une époque où le tissu restait un matériau cher qu’il convenait de faire ”durer” au maximum.

 

Exemple de jupe remontée à travers les ouvertures de coté – Kyoto Costume Institute.
Jean Baptiste Simeon Chardin – La toilette du matin – Nationalmuseum- Stockholm

Par ailleurs, l’habillement ayant souvent pour origine les boutiques des fripiers ou des ”revendeurs à la toilette”, les robes n’avaient pas toujours une longueur adaptée à leur nouvelle propriétaire.

Il fallait procéder à des ”ajustements”, soit en les raccourcissant ou en remontant l’excédent par différents moyens.

L’un des plus astucieux consistait à glisser la jupe à travers les fentes de coté, d’où un aspect renflé sur les hanches qui avait aussi l’avantage d’imiter la silhouette des robes « à paniers » des aristocrates.

Autre technique avec la partie arrière remontée dans la ceinture – Almanach allemand – 1780
Par effet de raccourcissements successifs, c’est le manteau de robequi se trouva peu à peu amputé d’une partie de sa longueur, favorisant l’apparition de tenues à basques de plus en plus courtes.

Ce changement d’apparence était particulièrement remarquable dans les milieux urbains où les diverses classes se côtoyaient et où la mode venait puiser ses diverses inspirations.

Les autorités morales condamnaient ces évolutions, estimant la stabilité vestimentaire comme essentielle à l’équilibre de la société et l’effacement des frontières entre vêtement aristocratique et populaire comme un danger.

Galerie des Modes et Costumes Francais – 1778

L’influence du personnel de maison

Il n’est pas inutile de rappeler l’influence qu’avait le personnel des grandes maisons bourgeoises sur la diffusion des nouveautés vestimentaires. Couramment rétribués par le don de pièces de costumes plus ou moins usagées ou passées de mode, ils procédaient à leur revente auprès des fripiers, mettant ainsi sur le marché des articles non disponibles autrement.

Mais il n’était pas rare (surtout dans les centres urbains où les interdits sociaux étaient moins stricts) de voir des domestiques porter les tenues héritées de leur maîtresse. Attitude qui, jointe à leur position particulière, à la jointure entre les différentes classes sociales, entretenait les échanges entre les diverses modes, depuis le haut de l’échelle sociale jusqu’aux milieux populaires.

A propos des chambrières et autres servantes de grandes maisons, Mme Rolandnote que presque toutes s’habillent des dépouilles encore fraîches de leurs maîtresses qui prêtaient à leur parure une richesse que l’honnête bourgeoise s’interdisait”.

Domestique parisienne en caraco – Galerie des Modes et Costumes Français – 1778

A la pointe de la tendance

Détail des compères et de l’ouverture en deux pointes du casaquin mulhousien – Mus.Hist.Mulhouse-Casaquin – © J.Rueher

 

La partie avant du casaquin mulhousien comporte deux parties en pointe venant se rabattre sur deux pièces rectangulaires, agrafées bord à bord : les compères

Cette configuration est héritée de la robe dite à la polonaise”, particulièrement en vogue dans les années 1780. Elle se caractérisait par un manteau de robe s’ouvrant en deux parties depuis la poitrine, pour s’évaser ensuite sur les cotés en rejoignant la jupe.

 

Robe à la Polonaise

Agencement conservé par le Pierrot”, version raccourci de la polonaise et où se retrouvent les deux pointes recouvrant en partie les compères.

Des compères à la page

La partie basse des compères est découpée en languettes courtes venant s’appliquer sur le haut de la jupe, selon un modèle qui semble avoir connu une faveur assez longue, si l’on en croit les nombreux exemples datant de cette période.

Robe à l’Anglaise – 1785-87 – MET
Galerie des Modes et Costumes Français. 15e cahier des Costumes Français – 9e Suite d’Habillements à la mode en 1778 – Galica RMN
Journal des Luxus un der Moden – 1786

Des manches àl’envers”

Les manches du casaquin mulhousien sont de type 3/4, avec une forme arrondie. Configuration spécifique aux tenues de l’Ancien Régime, due à la posture corporelle donnée par le port du corset, lequel obligeait à se tenir les épaules rejetées en arrière, avec les omoplates très rapprochées.

D’où l’ouverture en trapèze du décolleté et le maintien des bras en position demi pliée.

Finition de la manche avec détail du motif de pliures bordées d’un ruban de soie cramoisie – Musée Historique Mulhouse – © J.Rueher
Le bas des manches est terminé par un motif plissé, en appliqué, dans l’esprit de ce que l’on nommait les petits bonshommes”, sortes de manchettes plissées ou ruchées, que l’on ajoutait sur le haut des bras ou au coude.

Une observation plus attentive permet de remarquer que la couture des manches est elle-même dans une position inhabituelle puisque placée non pas sous mais sur l’avant du bras. Emplacement surprenant mais courant à l’époque et qui découle directement de la position des bras imposée par le corset.

Les couturières débutantes, faisant de la reconstitution de costumes anciens, sont parfois désorientées par cette configuration, ne comprenant pas les raisons de ces manches apparemment disposées ”à l’envers”. Ce qui correspond pas avec la tradition enseignée dans les écoles de couture à partir du 19è siècle, période où les corsets ayant changé de forme, l’attitude corporelle et l’allure des manches se trouvèrent également modifiées.

A suivre …

 

 

Remerciements à l’équipe du Musée Historique de Mulhouse pour son accueil et l’aide apportée à la réalisation de cette page.

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Documentation

  • Mémoires du baron de Frénilly – Souvenirs d’un ultra royaliste – Histoire en mémoire – Editions Perrin – 1987
  • Mémoires de Mme Roland, suivis des notices historiques sur la révolution: du portrait et anecdotes et des derniers écrits et dernières pensées – Books Google
  • Babeau Albert Arsène, 1835-1913 – Les artisans et les domestiques d’autrefois – 1886
  • Daniel Roche – La culture des apparences – une histoire du vêtement XVIIè-XVIIIè siecle – Collection Histoire – Editions Fayard – 1989
  • François-Marie Grau Histoire du costume – Collection Que sais-je ? – Éditions Presses Universitaires de France – 2007
  • Michelle Sapori – Rose Bertin, Couturière de Marie-Antoinette – Collection « Les Métiers de Versailles » – Editions Perrin – 2010

 Liens

http://lecostumeatraverslessiecles.chez-alice.fr/Costumes/XVIIIe/1774-1789_feminin.htm

 

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