Elégance masculine en robe de chambre

« Je me suis fait faire cette indienne-ci. (…) Mon tailleur m’a dit que les gens de qualité étaient comme cela le matin… ». Ces mots que Molière place dans la bouche de son Bourgeois Gentilhomme illustre bien la vogue de ce vêtement particulier porté par les bourgeois et aristocrates aux 17è et 18è siècles. Symbole de luxe et de classe sociale, la robe de chambre a introduit en Occident une manière nouvelle de se vêtir et de paraître.

L’attrait de l’exotisme

Les étoffes et vêtements d’un style nouveau qui arrivent en Europe, par le biais des diverses Compagnies Maritimes Orientales, suscitent à l’époque un tel engouement que la mode occidentale va s’en trouver durablement influencée.

Nicolas Bonnart – Homme en Robe de Chambre-1676-BNF.

Un vêtement d’un genre nouveau

Portrait du Comte Giovanni Battista Vailetti. 1710. Fra Vittore del Galgario. Venise

 

Parmi ces nouveautés, le « banyan », vêtement originaire de l’Inde, inspiré à la fois des kimonos japonais et du kaftan oriental, et qui devient un produit très apprécié de la gent masculine. Bien que réservé à un usage privé, il n’en est pas moins un article de grand luxe, coupé dans des tissus précieux, soieries ou Indiennes. Portée ouverte sur le gilet, cette tenue d’intérieur se veut faussement négligée, dans une allure mêlant confort, opulence et exotisme.

Tout pour la façade

Aux 17è et 18è siècles, le haut du costume masculin se compose de deux parties, le gilet (dérivé du pourpoint) et la veste (dérivée du justaucorps). Par commodité, c’est le plus souvent le gilet seul que l’on porte chez soi.

Attitude qui n’est tolérée que dans l’intimité, cette restriction s’expliquant par la forme caractéristique du gilet.

Gilet d’homme début 18è siècle. Face avant.
Gilet début 18è siècle – vue dos.
Les deux faces ne sont en effet pas taillées dans la même étoffe. Le dos est le plus souvent réalisé en une toile grossière, contrairement à l’avant, pour lequel sont utilisées des étoffes nobles, souvent enrichies de broderies. En outre, ce dos beaucoup plus court découvre l’arrière peu esthétique de la culotte. Vision considérée à l’époque comme très inconvenante.

A l’exception des artisans ou ouvriers, il est donc impensable pour un homme d’un certain niveau social de se montrer hors de chez lui en simple gilet et bras de chemise.

La robe de chambre devient une excellente alternative à la veste pour se présenter dans le cercle restreint de sa famille et de ses amis en préservant les apparences autant que la décence.

Un signe de classe

Ces robes d’intérieur, de par leur prix, sont le symbole d’une certaine classe sociale. Ce qui en fait des articles très convoités. Et si en 1670, Molière se moque des bourgeois parvenus à travers son personnage du Bourgeois Gentilhomme, lequel se ridiculise en imitant les « personnes de qualité », la mode de la robe de chambre finira malgré tout par se diffuser aux autres couches de la société.

Car, s’il est de bon ton pour les aristocrates, hommes et femmes, de marquer leur rang en recevant leurs familiers dans une tenue dispendieuse et faussement décontractée, l’agrément qu’elle apporte transforme au fil du temps la robe de chambre en un symbole du confort bourgeois qui n’est plus réservé à l’élite.

Le vêtement des artistes et des philosophes

Vêtement d’intérieur par excellence, la robe de chambre n’est alors plus seulement la tenue de quelques riches oisifs mais devient celle des penseurs, artistes ou philosophes, travaillant dans la quiétude domestique de leur cabinet de travail.

Portrait de Mozart – Réunion des Musées nationaux.

 

Un sujet philosophique

Ce qui permet à Diderot d’écrire en 1768, soit un siècle après Molière, son fameux essai : « Regrets sur ma vielle robe de chambre « . Il s’y emploie à souligner le confort que lui apportait cette compagne journalière :

 

Denis Diderot -1713-1784.

« Elle était faite à moi ; j’étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner ; j’étais pittoresque et beau … »

Une pièce exceptionnelle

 

 

Le Musée de L’Impression de Mulhouse conserve un de ces banyan, magnifique exemple de ces tenues d’intérieur si prisées. Il a été importé depuis Coromandel, dans le golfe du Bengale en Inde, d’où transitait une partie des marchandises destinées au commerce avec l’Europe.

Sa forme est d’une seule pièce, en T, sans col ni coutures pour fixer les manches, ce qui est une caractéristique des vêtements locaux. Par la suite, ce type de vêtement sera souvent remodelé pour mieux correspondre aux goûts du marché occidental.

Inde-Cote de Coromandel – vers 1750 – MISE Mulhouse.

Cette pièce de grande qualité présente de larges motifs floraux sur un fond finement moucheté. L’impression utilise une double technique, à la fois par mordançage et par  réserve.

Autre spécificité, la bordure décorative, conçue pour s’accorder au motif de fond et qui court tout autour du vêtement. Elle souligne le degré de raffinement qui était apporté à la confection de ces articles particulièrement luxueux, le prix étant en rapport avec la qualité de ces finitions.

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Suite à leur succès, les robes de chambres vont s’adapter au goût occidental. Les manches vont être cousues, parfois garnies de revers. On ajoute des cols droits ou rabattus, des boutonnages.

1750 – Banyan en indienne – Cote de Coromandel – LACMA
1720 – banyan en soie brochée©-Museum Associates – LACMA
1720 – Musée Arts Décoratifs – Paris
Elles ne proviennent plus toujours directement d’Orient mais sont crées ou terminées en Europe avec des textiles importés.

Le déshabillé chic

Trop singulière pour être portée hors de la sphère privée, la robe de chambre introduit une notion nouvelle dans l’habillement, celle du confort mais également du déshabillé, du négligé chic.

C’est une première dans l’histoire du costume occidental quant à la façon d’appréhender son apparence et sa relation aux autres à travers sa tenue vestimentaire.

Dans les siècles suivants, la robe de chambre sera la tenue d’intérieur presque obligée de l’homme de goût, signalant à travers elle son aisance financière et sociale.

Attitude, qu’en son temps, Diderot ponctue de ces mots :

« A présent, j’ai l’air d’un riche fainéant ; on ne sait qui je suis ».

Giuseppe Baldrighi – autoportrait- c. 1757.

 

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Remerciements au Musée de l’Impression sur Etoffes de Mulhouse pour son autorisation iconographique.

Références

Molière – Le Bourgeois Gentilhomme – Acte I scène 2 – Bibliothèque de la Pléiade – 2010

Denis Diderot – Regrets sur ma vieille robe de chambre – Avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune – Essai- 1768

Daniel Roche, La culture des apparences – une histoire du vêtement – Editions Fayard, coll. Point Histoire – Paris 2007.

Modes en miroir : La France et la Hollande au temps des Lumières – Catalogue exposition – Ouvrage collectif-  2005

L’état de ma garde robe – Catalogue d’exposition – sous la direction d’Aziza Grill-Mariotte – Silvanaeditoriale S.p.a. 2019

Liens

https://www.musee-impression.com/

https://fr.qaz.wiki/wiki/Banyan_(clothing)

https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/palais-galliera/oeuvres/robe-de-chambre-5

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