Jamais sans mon sac !

Le sac, cet indispensable compagnon des femmes au quotidien, est une invention relativement récente. Il n’est apparu, sous la forme qu’on lui connait actuellement, qu’au tout début du 19è siècle et ne doit son existence qu’à la disparition des robes à paniers. Mais alors, comment faisaient les femmes d’autrefois pour ranger tout le petit nécessaire à leur survie: pièces de monnaies, mouchoirs, clés, papiers, … carte de crédit et téléphone portable ?

A la ceinture

A la Renaissance, les femmes ont pour coutume de promener avec elles un attirail hétéroclite de petites besaces ou bourses, trousseaux de clés   et étuis divers, accrochés à la ceinture. Ces bourses leur permettent de garder sous la main des objets plus ou moins précieux. Ornées de fermoirs complexes, de pompons et grelots (ces dernier servant à dissuader d’éventuels voleurs), elles sont un indicateur de richesses et de niveau social.

 

Femme de Strasbourg vers 1570 – BNU Strasbourg – NIM23762

 

 

 

Bourse époque Renaissance en cuir – Musée de Francfort
Femme de Nuremberg-  Gravure d’Albrecht Dürer -vers 1500.

 

Melancolia (détail) – Gravure d’Albrecht Dürer.

Le port de ces bourses et autres objets est une habitude instaurée dès l’époque médiévale où hommes et femmes accrochent à leur ceinture des aumônières, bourses ou escarcelles aux formes et fonctions très diverses.

 

Joaquim et Anne se rendant au Temple avec la Vierge – Livre des faits de Monseigneur Saint Louis – manuscrit 15è – Gallica
Israhel van Meckenem  1445 /1503 – naissance de la Vierge (détail) – d’après Hans Holbein le vieux –
Hans Baldung Grien 1484/1545 – Crucifixion – détail – Gemäldegalerie Berlin

Des poches amovibles

La bourse suspendue à la taille, dispositif bien pratique qui permet de garder à portée de mains toutes sortes de menus objets, tout en laissant les mains libres, est peu à peu remplacée au 16è siècle par un système de poches″ amovibles, cachées sous la jupe et retenues de manière discrète par des cordons.

Femme de Grenade – Recueil de Costumes de femmes de diverses contrées – Gallica
Naissance de la Vierge – Alessandro Allori 1535 /1607- Chiesa Santa Maria Nuova – Cortona
Femme à sa toilette (détail)- Fresque en trompe l’œil 1589 Alessandro Allori – Palais Pitti – Florence

Contrairement à celles que l’on trouve sur le costume masculin et qui lui sont généralement intégrées, la version féminine de la poche est donc amovible et se glisse entre la jupe et le jupon.

 

Une poche à secrets

A une époque où la plupart des femmes ne possèdent rien en propre, les poches (car il y en a souvent plusieurs !) leur permettent de conserver auprès d’elles, et en toute discrétion, leurs biens personnels, petits objets de valeur plus ou moins grande, voire un modeste pécule. Elles sont un espace préservé dont elles seules ont la garde et la gestion.

Peu représenté dans l’iconographie et assez peu connu du grand public, cet accessoire vestimentaire a eu, pendant tout l’Ancien Régime, une importance considérable dans la vie quotidienne des femmes de toutes conditions.

De la grande dame à la paysanne, de la bourgeoise à la fille de joie, les poches sont le réceptacle de leurs possessions les plus précieuses, les plus secrètes.

 

 

La présence de la poche est ici dévoilée par le mouvement de retroussis du manteau de robe – Femme de Qualité en Habit d’Hyver – 1687 – Recueil des modes de la cour de France.
La poche, cachée sous la jupe est ici suggérée par le mouchoir qui dépasse de la fente de la jupe – La Belle Plaideuse – Recueil des modes de la Cour de France – Nicolas Bonnart 1637/1718

 

 

Les poches sont souvent stratégiquement placées en correspondance avec les ouvertures latérales de la jupe. La communication entre les deux se trouve ainsi facilitée, ainsi que la capacité à faire disparaître au fond des poches de multiples objets en toute discrétion.

Ce qui ouvre bien sûr la porte à toutes les suspicions, le caractère insondables de ces poches les transformant en ″terra incognita″, propices à entretenir la méfiance à propos du personnel de maison et, plus largement, les phantasmes autour de la duplicité féminine.

 

Dicton alsacien : ″Ce qu’un homme ne peut emmener avec une charrette, une femme l’emporte dans son tablier !″

Un format ergonomique

La mode des jupes superposées qui s’est instaurée à partir du 16è siècle, a permis à ces accessoires particuliers de s’incorporer en toute discrétion à la toilette féminine, leur forme aplatie passant aisément inaperçue sous la masse des jupes et sous-jupes empilées.

 

Poupée en bois avec robe à la française 18ème, présentée en déshabillé avec ses poches posées sur le jupon.
Reconstitution d’un costume de domestique ou d’intérieur avec jupon, corset et poches – Kyoto Costume Institute

Selon les milieux, leur qualité et leurs matériaux diffèrent sans que leur allure générale ne soit affectée. Certaines sont taillées dans des toiles simples, d’autres sont richement brodées, ce qui démontre un emploi qui dépasse les seules femmes du peuple.

 

Exemple de poches brodées – Museum of Bags and Purses – Amsterdam
Poches de toile – Musée Historique Strasbourg

 

Poches et paniers

Au 18è siècle, les paniers font leur apparition. Associés aux poches, ils sont les compagnons habituels du costume féminin, l’un étant peut-être issu de l’autre. Du moins si l’on en juge par l’allure de certains de ces paniers, sorte de corbeilles de tissu posées sur les hanches et arrondies par l’ajout de renfort en rotin ou jonc.

Ils ont une fonction identique aux poches, leur large volume facilitant le transport d’objets indispensables aux élégantes de l’époque : mouchoirs, tabatière, flacon de parfum, etc

Un panier ″made in Elsass″

Très rare exemple de paniers en tissu Kelsch – Musée Historique de Mulhouse – © J.Rueher

En Alsace, les femmes de la haute société ne sont pas en reste dans l’adoption des paniers. Présents dans les réserves des musées, ils témoignent de la diffusion de ces accessoires bien particuliers au sein de la haute société alsacienne.

De forme semi-sphérique, ils sont taillés dans des tissus rustiques, lin ou chanvre.

Le Musée Historique de Mulhouse conserve une paire de ces paniers. Ils présentent la particularité d’être conçus avec du kelsch. L’utilisation de ce tissu, spécifique aux régions alémaniques, témoigne de l’ancrage de cette mode dans les habitudes locales.

De forme simple mais fonctionnelle, ils s’attachent à la taille par des cordons. La circonférence est donnée par deux lames de jonc en demi-cercle, en haut et en bas du panier.

Paniers nobles et poches plébéiennes

 

Si poches et paniers accompagnent de concert la toilette féminine, le panier est l’apanage des élites nobles et bourgeoises lesquelles étaient seules autorisées à en porter.

Mais la frontière entre ces deux types d’accessoires est parfois mince, le volume des poches et de leur contenu pouvant largement prêter à confusion.

Caricature anglaise du 18è siècle où il est difficile de faire la différence entre paniers et poches.

Discrimination qui trace une ligne entre les catégories sociales, les dames étant tenues de ne pas dévoiler leurs dessous, à la différence des femmes de plus petite condition que la saleté des rues obligeaient à retrousser jupes et tabliers, rendant ainsi leurs poches visibles. Une visibilité qui devenait un indicateur des classes laborieuses, paysannes, femmes d’artisans ou domestiques.

 

Femme du Brabant – vers 1775 – série de dessins colorés – Collection of the Bunka Fashion College.
″Tricoteuse″ parisienne – LACMA

Ergonomie du panier

Faciles à transporter, permettant la possession et la garde de multiples objets plus ou moins précieux, les poches et paniers représentent un attribut incontournable du costume féminin pendant toute la période de l’Ancien Régime.

Le changement de mode qui s’opère à la fin du 18è siècle et qui implique leur disparition, va placer les femmes devant un profond dilemme …

 

 

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Documentation

  • Les vêtements de la Liberté -Abécédaire des pratiques vestimentaires françaises de 1780à 1800 – Nicole Pellegrin – Éditions Alinéa – Aix-en-Provence – 1989
  • La Mode en France 1715-1815, de Louis XV à Napoléon 1er – Ouvrage Collectif en collaboration avec l’Institut du Costume de Kyôto – La Bibliothèque des Arts – Paris – 1990
  • Le Costume Français – Ouvrage collectif – Edition Flammarion – Paris – 1996
  • Daniel Roche – Histoire des choses banales. Naissance de la consommation. XVIIe-XIXe siècle –Editions Fayard – Paris 1997.
  • Histoire de la mode et du costume – James Lever – Editions Thames & Hudson – Paris -2003 (Réédition)
  • Fashion : Une histoire de la mode du XVIIIe au XXe siècle – Akiko Fukai – Editions Taschen – 2006
  • KYOTO COSTUME INSTITUT – Histoire de la mode du XVIIIe au XXe siècle Relié –Editions Taschen-2019
  • La mécanique des dessous, une histoire indiscrète de la silhouette – Edition des Arts décoratifs – Paris – 2013
  • Barbara Burman – Ariane Fennetaux – The Pocket: A Hidden History of Women s Lives, 1660 /1900 New Haven and London: Yale University Press. 2019
  • À la mode – L’art de paraître au 18e siècle – Catalogue d’exposition – Editions Snoeck / MBA Nantes /MBA Dijon. 2021

Liens

https://journals.openedition.org/1718/363

https://www.curieuseshistoires.net/mode-et-coquetterie-au-xviiie-siecle/

https://www.hemiole.com/reconstitution/index.php?post/La-bourse-ou-l-aumoniere

https://kingandallen.co.uk/journal/2020/the-surprising-history-of-pockets/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Kelsch_d%27Alsace

https://ornament-i-stil.livejournal.com/405939.html

https://webtv.univ-lille.fr/video/10973/8220imago8221-8221histoires-d8217objets8221-anne-fennetaux-dans-les-poches-des-femmes-du-xviiie-siecle

 

 

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1 commentaire
  • Julie
    30 juillet 2023

    Merci pour cet article. Votre site est une véritable source d’inspiration.