
Déjà le made in China !
A la fin du Moyen-Âge, le monde occidental découvre avec fascination la porcelaine de Chine.
Symbole de luxe extrême, celle-ci va faire l’objet d’un commerce intense entre l’Extrême Orient et l’Europe. car les élites s’arrachent à prix d’or cette production où dominent des objets de couleur blanche ornés de motifs d’un bleu profond.
Face à cet engouement, divers centres de production vont s’employer en Europe à reproduite, avec plus ou moins de bonheur, les produits chinois.
L’Italie devient un foyer créatif important avec ses fameuses “Maiolica” (majoliques).
Mais c’est aux Pays-Bas, à Anvers mais surtout à Delft que vont se développer au 16è siècle la fabrication des pièces de faïence décoratives ou utilitaires dont la ville tirera sa notoriété.

Dans le même temps, la péninsule ibérique et tout particulièrement le Portugal, se signale également par la création des fameux ″Azulejos″pour orner intérieurs et façades de maisons.
Une couleur oubliée
Pendant plusieurs siècles, la porcelaine chinoise et ses dérivés va ainsi éclipser une bonne part des autres styles de céramiques.
Celles-ci vont se maintenir, de manière parcellaire. dans le monde islamique où subsistent des traditions ancestrales de fabrication de faïence. Comme par exemple dans la ville d’Iznik en Turquie où, à partir du 15è siècle, seront fabriquées certaines types de céramiques, avec des procédés proches de ceux de l’ancienne faïence égyptienne.
Les derniers fours d’Isnik se sont éteints à leur tour au 17è siècle. Mais auparavant, ils auront produit de magnifiques céramiques employées en de grandes compositions ornementales sur les murs du palais de Topkapi ou de la Mosquée Bleue à Istanbul.
Une rencontre déterminante
C’est en admirant l’une de ces ″céramiques ottomanes″ que Théodore Deck, intrigué par leur aspect, va commencer à s’intéresser à leur mode de fabrication.
Comme il le racontera plus tard dans une lettre, cette rencontre marquera un tournant dans son travail, en orientant (sans jeu de mots !) la suite de ses recherches.
En homme curieux mais surtout chercheur infatigable, il se prend de passion pour ces techniques traditionnelles d’émaillage, s’attachant à comprendre comment elles sont obtenues.

*La grande différence entre le bleu des égyptiens et celui des Chinois réside dans l’utilisation de certains oxydes. Le premier devait sa teinte si particulière, proche de la turquoise, aux oxydes de cuivre. Alors que le bleu profond de la porcelaine chinoise et des faïences européennes tire sa teinte du cobalt.
Deux tonalités que l’on retrouvait associées sur les fameuses ″céramiques ottomanes″ et que Théodore Deck su maîtriser à son tour.
Un céramiste de génie
Bien que né en Alsace, à Guebwiller en 1823, c’est à Paris que Théodore Deck s’installe en 1851. Formé à Strasbourg dans l’atelier des poêliers Hügelin, il devient contremaître chez Vogt, potier bavarois dans la capitale.
Quelques années plus tard, il créé son propre atelier et lance, avec l’aide de son frère, sa production personnelle de carreaux émaillés pour poêles.
Doté de solides connaissances techniques et d’une imagination débordante, son esprit créatif le pousse à se diversifier en proposant des objets décoratifs très variés dans le gout oriental. Des objets très appréciés par la clientèle bourgeoise de l’époque .
Le bleu réinventé
C’est sa fascination pour les objets d’origine orientale, qu’il commence par ailleurs à collectionner, qui le pousse à se lancer dans des recherches sur leur mode de fabrication. Il est particulièrement attiré par ce qu’il appelle le ″bleu d’Égypte″. Un bleu dont il retrouve la composition et qui va, très vite, devenir le ″bleu Deck″.
Et c’est ce bleu qui va faire sa célébrité. Une couleur splendide dont il sait mettre les nuances en valeur en jouant sur des glaçures de différentes épaisseurs.
Présentés à l’Exposition Universelle des Arts Industriels de Paris dès 1861, ses premières créations font sensation. Elles lui vaudront très vite de nombreuses médailles et récompenses.
Créateur prolifique, il signe une époustouflante déclinaison d’objets décoratifs, où se manifeste sa parfaite maîtrise des couleurs et de l’émaillage. Des objets dans l’esprit de son époque c’est à dire un peu ″chargé″ selon nos goûts actuels mais dont la qualité d’exécution reste exceptionnelle.
Les chats égyptiens de Deck
Parmi les pièces les plus connues de la production de Théodore Deck figurent les chats égyptiens.
Plus que des copies ou des pastiches, ils apparaissent comme un hommage à ceux de l’Égypte Antique.
Ils existent en plusieurs déclinaisons de bleu, certains même en vert céladon, ce qui permet d’admirer la maitrise des couleurs élaborées par Deck.
Le Commerce et la Navigation -1883 – Musée des Arts Décoratifs. Paris
Le magicien de la couleur
Ses talents de céramiste et de coloriste ne se sont pas arrêtés à la couleur bleue. Tout au long de sa carrière, il a su faire preuve d’une extraordinaire inventivité doublée d’un grand éclectisme.
Ses recherches l’ont poussé à aller toujours plus avant dans l’exploration de nouvelles recettes.
Ainsi, après un voyage à Venise, il en revient fasciné par les mosaïques à fond d’or de la basilique Saint-Marc.
Ce qui le pousse à élaborer des réalisations sur fonds d’or, d’une extraordinaire maîtrise. dont certaines récompensées par le Grand Prix lors de l’Exposition Universelle de Paris de 1878.

Des fonds d’or dont il développe l’utilisation sous des formats très variés (vases ou assiettes) ainsi que pour des compositions plus ambitieuses. Tels les deux grands panneaux réalisés en 1883 pour le Pavillon Français lors de la Première Exposition Internationale d’Exportation d’Amsterdam.
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Bien après sa mort, Théodore Deck reste une référence incontournable dans le monde des Arts Décoratifs. Ses travaux ont permis de faire revivre des techniques ancestrales oubliées tout en ″réinventant″ une couleur à laquelle son nom est désormais attachée.
Ses productions sont présentes dans de nombreux musées à travers le monde, la plus grande collection de céramiques signées Deck se trouvant à New York chez un collectionneur privé. Sans aller jusque là, on peut en admirer une très belle sélection au Musée du Florival de Guebwiller, sa ville natale.
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Documentation :
- Théodore Deck, magicien des couleurs – Françoise Bischoff- Bernard Jacqué – Cécile Modanese – Editions des Dernières Nouvelles d’Alsace -2016
- Sébastien Quéquet – Pour une polychromie monumentale de quelques grands décors de Théodore Deck – Revue de la Société des Amis du musée national de Céramique – Année 2019
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https://www.youtube.com/watch?v=aEDmMSJV-98
https://blog.mubawab.tn/la-faience-islamique-un-voyage-a-travers-lart-et-lheritage/
https://ladamejeanne.com/faience_de_delft/
https://www.ville-guebwiller.fr/culture/lieux-culturels/musee-theodore-deck-des-pays-du-florival/
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