Le Bleu Deck – (2) le Caeruleum Aegyptium

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Le ″Caeruleum Aegyptium″, un bleu mythique utilisé par les anciens égyptiens pour la création d’objets extraordinaires tels que bijoux, meubles, statuettes etc …, mais également d’un magnifique pigment bleu. Commercialisé à grande échelle dans tout le bassin méditerranéen, ce bleu céleste a été utilisé pour les décors des bâtiments et nécropoles antiques, comme par exemple à Pompéi. Oublié pendant les siècles suivants, il dût attendre le 19è siècle pour être réinventé.

 

Les bijoux fabuleux d’un petit roi

Les artisans égyptiens avaient découvert que la faïence bleue pouvait être broyée. Ce qui permettait des effets d’émaillage sur de nombreux objets.

Un procédé qui s’étendait à la réalisation de bijoux. La pâte de verre venait s’ajouter aux incrustations de pierres semi-précieuses comme la cornaline, la turquoise et surtout le précieux lapis-lazuli, élargissant la gamme des teintes disponibles.

 

La découverte du trésor de Toutankhamon a mis au jour de nombreux objets et bijoux utilisant cette technique d’émaillage. Ils démontrent le talent créatif des artisans de l’époque ainsi leur maîtrise exceptionnelle des matériaux travaillés.

 

 

Or, pâte de verre et pierres semi-précieuses se combinent  sur ce petit sarcophage canope à l’effigie de Toutankhamon – Musée du Caire.

Trésor de Toutankhamon – détail d’un Uraeus sur l’un des masques – Musée Du Caire

 

Trésor de Toutankhamon- Détail de pectoral à tête de faucon – Émaux et pierres incrustées

Un artisanat raffiné

Leur inventivité leur a permis de multiplier les possibilités qu’offrait ce matériau si particulier. Certaines de leurs créations démontrent leur talent pour l’associer de manière très diverse.

 

Coffret en bois dore –faïence bleue et ébène – Règne d’Amenhotep III – Musée du Caire.

 

Le dieu Thot représenté sous forme de babouin – Faïence noire et bleue, or – Louvre

 

Un bleu à la mode grecque

 

Sous les  Ptolémées, qui furent  les derniers souverains du pays, l’art égyptien a connu d’importants bouleversements.

De culture grecque-macédonienne, ils ont rassemblé autour d’eux une élite dont les standards iconographiques s’écartaient de ceux qui avaient eu cours dans les siècles précédents.

Un changement artistique qui se reflète dans l’artisanat de l’époque avec la production d’objets d’un style très diffèrent de celui de l’Égypte traditionnelle et où se rencontrent les influences grecques et orientales.

Une évolution stylistique à laquelle la céramique bleue n’a pas échappé.

 

 

Comparaison entre une figure féminine votive datant du Moyen Empire (entre 1 580 et 1 085 avant J.-C – Musée du Louvre) et une statuette de Vénus de l’époque ptolémaïque (entre 332 et 30 avant J.-C – Musée Gulbenkian – Lisbonne)

Déesse Cybèle – Epoque Ptolémaïque – Ashmolean Museum – Oxford.
Fragment d’une statuette de déesse Isis-Aphrodite – Elle témoigne de la diffusion de ce culte depuis l’Égypte vers tout le monde Romain.

 

 

 

Échantillons de bleu égyptien en différents stades de cuisson puis de broyage.

 

Palette d’écriture dAmenemopet, vizir du pharaon Amenhotep III -1391.1354-av. JC – A coté du noir, du rouge et des ocres, on peut distinguer deux tonalités de bleu parmi les couleurs disponibles sur la palette.

Une poudre magique

Non contents des nombreuses possibilités déjà offertes par la pâte de verre, les artisans avaient également constaté qu’en variant la composition et la cuisson du mélange de base, on pouvait agir sur la couleur du produit d’arrivée.

Mais ils remarquèrent également que la tonalité obtenue pouvait encore être modifiée selon la manière dont la matière vitreuse était ensuite broyée. Avec, à la clé, la création de pigments dans des tonalités encore plus larges.

Un ″bleu magique″ dont sont issus les motifs peints que l’on peux encore admirer de nos jours sur des sarcophages, divers objets ou de larges décors muraux.

 

Sarcophage peint en diverses tonalités de bleu – Musée du Caire

 

Si les peintures des palais ne sont plus là pour en témoigner, celles encore présentes sur les murs des tombes et de certains monuments attestent de la qualité de ce pigment particulier et de son exceptionnelle longévité.

Ramses III et la déesse Hathor

 

Corridor de la tombe de Ramsès IV – Vallée des rois – Louxor
Temple de Denderah – Rive ouest du Nil

 

Fresque dans la vallée des nobles – Louxor.

 

Une couleur qui s’exporte loin

Le ″Caeruleum aegyptium″, (bleu égyptien) figurait en bonne place aux cotés des objets plus ou moins luxueux qui s’exportaient depuis l’Égypte pendant l’Antiquité . Majoritairement utilisé par l’ensemble des civilisations méditerranéennes, ce bleu est encore présent sur les murs des palais et tombes antiques qui ont été redécouverts depuis.

Commercialisé sous forme de morceaux plus ou moins gros, il pouvait ensuite être broyé selon l’usage désiré. Les ruines de Pompéi ont livré certains de ces fragments,  parfois déjà réduits en poudre dans des godets, prêts pour la réalisation de grands décors peints.

 

 

Divers monuments et tombes attestent de l’emploi du bleu égyptien par les peuples de l’Antiquité.

Ci dessus de gauche à droite : Le joueur de flute – détail d’une fresque étrusque, dans la nécropole de Monterozzi, Italie, début du 5e siècle av. J.-C   – La déesse Flora – villa Ariana, à Stabiae, près de Naples, 1er siècle ap. JC.

Fragments de bleu égyptien tels que retrouvés dans les ruines de Pompéi.

 

 

Fresque aux oiseaux provenant de Pompéi – Musée de Naples.

 

Les Romains finirent par mettre eux-même en route une production de pigment bleu, à proximité de Naples, plus précisément dans la région des Champs Phlégréens. D’une qualité moindre mais d’un coût plus accessible, ces ateliers démontrent l’importance qu’avait le commerce de ce pigment dans le monde antique.

 

Splendide salle aux murs bleus, découverte à Pompéi en juin 2024.

 

La disparition

A coté du bleu d’origine romaine, le plus gros de la production provenait essentiellement d’Égypte. Un quasi monopole que les bouleversements de l’Histoire vont mettre en difficulté.

A la chute de l’Empire Romain, les routes maritimes et terrestres deviennent moins sûres. Les échanges commerciaux se compliquent.

Le déclin de la civilisation romaine entraîne une importante régression technologique. Les structures de la société occidentale se modifient avec l’émergence du système féodal. Les centres de pouvoir s’éloignent des rives de la Méditerranée en déplaçant les routes commerciales.

L’expansion musulmane et l’irruption de la piraterie en mer Méditerranée vont intensifier ces bouleversements, sonnant peu à peu le glas de l’exportation du bleu égyptien.

 

Aux mains d’un nombre sans doute volontairement restreint d’artisans, seuls capables de maîtriser le processus, la recette de la faïence égyptienne et de ses nombreuses applications va sombrer peu à peu dans l’oubli.

Pirate barbaresque selon une gravure du 19è siècle

Le Graal des céramistes

Pendant des siècles, les céramistes vont tenter de percer les secrets de ce bleu mythique, sans y parvenir vraiment. Transformant cette recherche en une sorte de Graal.

Il faudra attendre le 19è siècle et les progrès permis par les fours modernes au charbon, et surtout au gaz, pour qu’un inventeur génial en retrouve la recette.

 

A suivre …

 

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Documentation :

  • Restaurations et présentations des peintures murales d’Herculanum et de Pompéi au musée du Louvre – Delphine Burlot – Histoire de l’art Année 2011
  • Laetitia Cavassa – La production du bleu égyptien durant l’époque hellénistique et l’Empire romain
    (IIIe av. J.-C.-Ier s. apr. J.-C.). Bulletin de correspondance hellénique-supplément, 2018, Les arts de la couleur en Grèce ancienne et ailleurs.
  • Les débuts de la piraterie andalouse en Méditerranée occidentale (798-813) – Pierre Guichard – Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée – Année 1983

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Bleu_égyptien

https://www.visiontimes.fr/tendance/culture/retracer-lheritage-intemporel-dune-teinte-ancienne-celle-du-bleu-egyptien

https://www.pourlascience.fr/sd/archeologie/l-epopee-du-bleu-egyptien-7451.php

https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1996_num_84_311_4824

https://info3.com/archeology/173808/text/short/rare-sanctuaire-bleu-decouvert-a-pompei-apres-2000-ans

https://www.nature.com/articles/s41598-021-90759-6

https://books.openedition.org/efa/8417

 

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