
Un vêtement interdit
Pendant des siècles, les femmes n’ont eu pour linge de ″dessous″ qu’une superposition de jupes et de jupons. Le haut de chausse, la culotte, le caleçon et, par la suite, le pantalon restaient l’apanage des hommes.
De ce fait, le port d’un vêtement ayant une apparence similaire à celui des hommes était strictement interdit à la gent féminine. Aux hommes, la culotte, aux femmes, les jupons.
Dans un monde très hiérarchisé, le non-respect de ces obligations était considéré comme un travestissement, comportement particulièrement répréhensible car générateur de troubles à l’ordre public.
D’où une attitude très répressive de la part des autorités civiles et religieuses face à toute attitude pouvant le remettre en cause.
Les pionnières
Une ségrégation qui s’est continuée jusqu’au début du 20è siècle, l’interdiction n’ayant été définitivement et officiellement abrogée qu’en 2013.
Un peu plus d’un demi-siècle auparavant, l’écrivaine George Sand ou la peintre Rosa Bonheur, défrayèrent la chronique en osant se montrer en pantalon.
Les rares qui osaient, comme elles, s’habiller en homme devaient en demander l’autorisation à la Préfecture de Police. Laquelle leur délivrait un permis spécial, après visite médicale !
A la même époque, l’américaine Amélia Bloomer fit scandale en créant une tenue spécifique afin de permettre aux femmes de pratiquer plus librement des activités sportives.
Une mode qui souleva autant de réactions enthousiastes qu’indignées.
Aux États Unis, des campagnes virulentes de développèrent contre les femmes en ″bloomer″, certaines d’entre elles se voyant interdirent l’entrée dans les églises, d’autres devant renoncer à en porter pour ne pas mettre en péril la carrière de leurs maris.
Et arriva la crinoline …
Au milieu du 19è siècle, apparaît la mode de la crinoline.

D’abord constitué de lourds jupons de crin, reposant sur des cerceaux d’osiers ou des baleines, le dispositif de la crinoline est remplacé en 1856 par des cercles de métal disposés en rangs superposés, retenus entre eux par des rubans.
Une ″modernisation″ permise par les techniques nouvelles d’usinage et de production de métal et qui va permettre à ces jupes en forme de cage d’atteindre des circonférences de plus en plus grandes.
A l’imitation de l’Impératrice Eugénie, grande influenceuse de son époque, les élégantes des États du Sud américain autant que les grandes duchesses russes n’auront de cesse de s’en doter.
De la grande bourgeoise à la servante, toutes succomberont à la folie de la crinoline.
Les alsaciennes ne seront pas en reste elles non plus, du moins celles résidant en ville.
Dans les villages, c’est à travers elle que se dessinera la frontière entre la petite bourgeoisie locale, adepte de la mode parisienne, et les paysannes restant fidèles au costume traditionnel.
Une dangereuse nouveauté
Une vision hautement immorale dans une société bourgeoise particulièrement pudibonde.
Les détracteurs de cette mode se gargarisent des incidents plus ou moins graves dont sont régulièrement victimes les femmes, en particulier dans les transports, à cause de crinolines trop volumineuses.
Dans Les Petites Filles Modèles, roman pour enfants écrit par la Comtesse de Ségur, la méchante Mme Fichini se retrouve ainsi en fâcheuse posture à cause d’un fauteuil repoussé par le volume de sa jupe.
Pour contrer cet inconvénient et prémunir du scandale les audacieuses ou les étourdies, la lingerie féminine va se doter de petits pantalons de toile légère, plus ou moins bouffants, garnis de dentelle et de rubans pour les maintenir sur le mollet.
Une mode pour les petites filles
Dans le même temps, les modes spécifiquement destinées aux enfants se développent.
Montées elles aussi sur cerceaux, elles s’accompagnent des mêmes pantalons que ceux des femmes, ceci pour les prémunir de toute position indécente en s’adonnant aux jeux et occupations de leur âge.

Des petits pantalons de toile qui sont mentionnés par la Comtesse de Ségur, dans les premiers chapitre de son roman, lorsqu’elle décrit les tenues de Camille et Madeleine, les ″Petites Filles Modèles″.
La fameuse culotte fendue
L’inconvénient principal de ces pantalons est de n’être pas adaptés à la physiologie féminine. Sans entrer dans les détails, on comprendra la difficulté représentée par le port d’une longue jupe lorsqu’elle s’accompagne par en-dessous d’un pantalon fermé.
D’où la création de culottes fendues pour simplifier certaines fonctionnalités de la vie courante.
Un accessoire qui sera la source de bien des fantasmes mais dont l’usage mettra du temps à se répandre dans les campagnes autant que dans les esprits.
Un usage très citadin

Les paysannes, attachées à leurs habitudes vestimentaires, resteront longtemps réfractaires à un article textile qui ne leur apportait aucun confort.
Par un surprenant paradoxe, l’argumentaire de la morale était également invoqué pour empêcher son emploi.
La forme bien particulière de la culotte, avec son entrejambe ouvert, passait pour profondément indécent et s’assimilait au monde de la luxure et des femmes ″de mauvaise vie″.
Elle ne pouvait donc qu’inciter aux comportements licencieux.

Ce n’est qu’avec la lente adoption des modes citadines par le monde rural et l’abandon progressif des vêtements traditionnels que les caleçons et culottes perdront leur caractère transgressif pour s’intégrer à la tenue féminine courante.
Un retour en grâce très folklorique
Au tournant du 20è siècle, avec le raccourcissement des jupes, la lingerie féminine se simplifie. Les caleçons longs disparaissent et les femmes portent enfin la culotte, celle-ci prenant un format de plus en plus minimaliste !

Son usage s’est rapidement imposé lorsque les groupes ont pris l’habitude d’évoluer sur des scènes en hauteur, redonnant au caleçon un rôle identique à celui qui lui avait été attribué sous le Second Empire, à savoir la préservation de la moralité féminine.
Une obligation rendue presque indispensable par le raccourcissement des jupes, décidé à la même époque, dans le but de moderniser l’aspect des tenues traditionnelles.
Historiquement non traditionnel, le caleçon de lingerie, en s’intégrant tardivement à la tenue des danseuses, a aussi renoué avec l’une de ses particularités qui est de susciter un intérêt parfois grivois de la part de certains spectateurs.
Intérêt quelque fois encouragé par la présentation sur scène des diverses parties du costume, en un effeuillage détaillé et pas toujours indispensable, des dessous des danseuses.

A suivre …
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Documentation
- Histoire de la mode en France – Emile de La Bédollière – Edition originale 1858 – Réédité par la BNF (disponible sur Gallica)
- La mécanique des dessous – Une histoire indiscrète de la silhouette – Catalogue d’exposition – Ouvrage collectif sous la direction de Denis Bruna – Édité par les Arts décoratifs – juin 2013
- Mille milliards de rubans, la vraie histoire de la mode – Loïc Prigent – Editions Grasset -2024
Liens
https://www.senat.fr/questions/base/2012/qSEQ120700692.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Amelia_Bloomer
https://fr.wikipedia.org/wiki/Crinoline
https://histoire-image.org/etudes/crinoline-tous-ses-etats
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